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 La jouissance et son traitement

Nous soutenons avec Lacan que, dans la psychose, du fait de la forclusion du Nom-du-Père et de son corrélat le « phallus », la jouissance ne peut se soustraire, se négativer, se castrer 1. Nous soutenons aussi que, faute d’extraction de l’objet a, la jouissance ne peut être évacuée et localisée, via un reste, sur un bord pulsionnel. Nous soutenons enfin que l’effet du langage sur le corps comme chair, ne pouvant induire un vidage de la jouissance, fait que cette dernière se « déplace à la dérive 2 ». Trois manières différentes d’expliquer pourquoi la jouissance demeure en trop, envahissante, dispersée et non localisée. Il s’en déduit alors une orientation quant au traitement, ce dernier devant permettre de capturer, de fixer et donc de tempérer cette jouissance.

Formalisations

Comment formaliser cette opération ? Le registre de l’image peut-être ici convoqué, en citant le Président Schreber pour qui les « avatars [de la libido libérée] se trouvent attirés et concentrés dans l’image de soi ici revitalisée 3 » – ce qu’il appelle « volupté d’âme ». Nous pouvons nous référer bien sûr au champ du signifiant et évoquer l’importance de la nomination 4. Mais alors, comment introduire le registre du signifié ?

La signification intime

Replongeons-nous dans la « Convention d’Antibes » de laquelle on peut extraire le terme apporté par J.-A. Miller de « signification intime 5 » – registre à bien différencier de celui de « signification personnelle » introduit par Lacan dans sa thèse et repris dans le Séminaire iii 6. Le premier indique que le sujet délivre à tel ou tel signifiant une signification spéciale, particulière, alors que le second relève de la catégorie des phénomènes élémentaires, comme l’hallucination verbale, le sujet étant visé dans les deux cas par un signifiant.

Un micro-délire ? 

Un apport de Lacan en 1946 permet de mieux cerner la spécificité de cette « signification intime ». Après avoir cité Guiraud et son intérêt pour les troubles du langage, il évoque « cet accent de singularité dont il nous faut savoir entendre la résonance dans un mot pour détecter le délire 7 ». Peut-on parler pour autant de délire ? Pouvons-nous convoquer le concept de « métaphore délirante 8 » ? Cela relève-t-il du savoir, du S2 9 ? Il semble plus opportun de parler de « micro-délire », ou encore de « délire discret, ordinaire ».

Le sens-joui

Un autre terme encore, prélevé chez Lacan, est introduit par J.-A. Miller, celui de sens-joui 10. Il rend compte du fait qu’un sens, qu’une signification est investie, libidinalement. Dans « La Conversation d’Arcachon », est évoqué le cas 11d’un patient répétant, « Je manque d’énergie », comme « néo-sémanthème » 12.

Ces phénomènes dits de sens-joui, d’investissement du sens, peuvent aussi se localiser dans le corps, lorsqu’une partie de ce dernier est « investie d’une façon spéciale 13 ». Trois autres cas, où c’est soit un cil, soit les cheveux, soit le pouce qui sont investis 14, permettant à la libido de se rassembler, de se fixer le démontrent. Avec cette particularité que c’est à chaque fois la scène de la castration qui se rejoue, dans le réel (ça s’arrache, ça tombe, ça craque), ce qui autorise enfin à évoquer deux derniers termes, ceux de « signification phallique délirante 15 » et de « néo-phallus 16 ».

Ce sont précisément à tous ces modes singuliers de capitonnage de la jouissance auxquels notre prochaine Journée de la FIPA, à Lille,  va s’intéresser.

Damien Guyonnet

 Cf. Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, n94-95, janvier 2009, p. 43.
 Miller J.-A., La Psychose ordinaireLa convention d’Antibes, Paris, Agalma, coll. Le Paon, 1998, p. 314.
 Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n44, février 2000, p. 53. 
 Cf. argument de Virginie Leblanc-Roïc, directrice de la Journée (disponible sur le Blog de la FIPA).
 Miller J.-A., La Psychose ordinaire…op. cit., p. 256.
 Lacan J., Le Séminaire, livre iii, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 66.
 Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 167.
 Lacan J., « D’une question préliminaire… », Écrits, op. cit., p. 577.
 C’est ainsi que J.-A. Miller formalise le délire, le phénomène élémentaire relevant du S1. Cf. Miller J.-A., « L’invention du délire », La Cause freudienne, no 70, 2008, p. 91.
10  Miller J.-A., La Psychose ordinaire…op. cit., p. 256.
11  Cf. Deffieux J.-P. « Un cas pas si rare », La Conversation d’Arcachon, Paris, Agalma/Seuil, 1997, p. 11-19.
12  Ibid., p. 205.
13  Miller J.-A., La Psychose ordinaire…op. cit., p. 305.
14  Cf. La Conversation d’Arcachonop. cit., p. 87-91 & p. 219-236 & La Psychose ordinaire…op. cit.. p. 296-315.
15  Ibid., p. 296.
16  Ibid., p. 297.

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