Je pars de cette phrase surprenante de Lacan dans son texte sur le « Trieb » de Freud pour éclairer le dispositif des ateliers Chemin de Vie offert par l’association parADOxes 1 à des adolescents en « urgence pulsionnelle » : « La couleur sexuelle [de la libido] […] est couleur-de-vide : suspendue dans la lumière d’une béance. Cette béance est celle que le désir rencontre aux limites que lui impose le principe dit ironiquement du plaisir, pour être renvoyé à une réalité 2 ».
C’est cette définition énigmatique de la pulsion articulant deux manques, deux absences, que Lacan oppose à l’erreur de l’instinct sexuel fixée par les post-freudiens. La libido est un mouvement constant qui se déplace, la libido passe où elle peut, se glisse, elle est équivalente au champ de la praxis de chacun dont le désir a à trouver le principe de ses impossibles. Elle a une constance de continuité, ne s’arrête jamais, insiste dans ses exigences. Elle nécessite une série d’ordonnancements, de séparations, de coupures, de trouages répétés, pour se distinguer en espace-temps successifs. La libido pulsionnelle requiert une variation des nominations, cherche à passer par de nouvelles associations, comme à construire de nombreux bricolages de corps à partir des rencontres humanisées par une parole qui accueille, qui n’anticipe ni ne précède, mais tire des perspectives en ouvrant des murs, des portes, des fenêtres ou par n’importe quelles « espèces d’espaces 3 ». La libido, pulse, s’écoule, se transforme. S’il y a trop de barrages, de contraintes, elle stagne, fait des vagues ou des deltas. Alors ça marine, ça gonfle – « encore un peu, ça pourrait exploser ».
À parADOxes, certains adolescents arrivent au bord de la crise de nerf, juste avant la catastrophe annoncée, envoyés par des éducateurs, des enseignants, des parents ou leurs propres amis. Certains praticiens de ParADOxes ont subverti les curriculum vitae classiques pour les transformer en ateliers Chemins de Vie. Ils offrent à ces sujets trois rendez-vous d’espace- temps pour transformer ce qui les contraint et les embarrasse en Autre chose. L’invention de ce dispositif institutionnel s’appuie aussi sur plusieurs trouvailles des textes de J.-A. Miller, notamment la « théorie de Turin sur le sujet de l’École 4 » et le lieu Alpha 5 dans son texte « Vers Pipol 4 ».
Un, deux, trois…soleil
Ces ateliers se déroulent en en trois temps logiques :
Au premier rendez-vous, il s’agit de centrer le sujet sur l’obstacle qui le laisse intranquille, de cerner « l’impossible à supporter », ce petit bout de jouissance à soutenir en quiconque, pour l’adolescent comme pour le praticien. De trouver dans l’impasse même de la situation, la limite « où elle se rebrousse en effets de création 6 ».
Au deuxième rendez-vous, il s’agit de chercher des solutions à partir de la motérialité signifiante, mais aussi avec différentes matérialités, papier, carton, peinture, colle, tissu… pour rendre possibles bricolages et constructions.
Au troisième émergera un objet imprévu que le sujet emmènera ou laissera ou donnera à ParADOxes pour témoigner de ce qui a été fait.
Dans la conversation continue et discontinue des « atelières » avec ces adolescents, dans leur reprise attentive en cartel, s’élabore singulièrement et collectivement chaque prise en charge, inventant une « espèce d’espace » pour les déplacements de la libido.
Françoise Labridy
1 parADOxes, « un lieu et un lien pour les adolescents » est une institution de la Fipa.
2 Lacan J., « Du “Trieb” de Freud et du désir du psychanalyste », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 851-852.
3 Cf. Pérec G., Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974.
4 Cf. Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’École », Paris, Presses psychanalytiques de Paris, 2024.
5 Miller J.-A., « Vers Pipol 4 », Mental, no 20, 2008, p. 185-192.
6 Lacan J., « De nos antécédents », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 66.

