Frank Rollier, Directeur du CPCT-Antibes
« Améliorer la position du sujet [1] » en un temps court, suppose que notre pratique de psychanalyse appliquée à la thérapeutique soit « sourcilleuse sur son identité psychanalytique [2] », ainsi que Jacques-Alain Miller l’a accentué, alors même qu’obtenir des effets rapides « est exactement l’inverse de ce qu’on a latitude de faire dans une psychanalyse proprement dite [3] ».
Le consultant du CPCT pour adolescents est d’abord un outil dont le sujet peut se servir pour se décoller du discours de l’Autre familial et social qui parle en son nom, impose ses signifiants et ses diagnostics. L’adolescent découvre alors que sa parole adressée à un Autre, attentif aux signifiants qu’il énonce ainsi qu’à ce qui ne cesse de se répéter et signe le « retour de la jouissance [4] », peut avoir des effets inattendus.
En se refusant à « utiliser les pouvoirs de l’identification [5] » et à être le maître, en s’orientant sur la jouissance du sujet plutôt que sur la signification de ses conduites et la logique patriarcale qui dicte des normes, le consultant suscite la surprise de l’adolescent. Ce qui se joue là n’est autre que la mise en fonction du discours analytique ; discours permettant au sujet d’apercevoir la valeur de sa parole et, par celle-ci, d’accéder à une image plus estimable de lui-même et de se forger un idéal du moi. Sous transfert, la logique du discours analytique conduit à l’extraction d’un ou plusieurs signifiants qui représentent le sujet et dont il pourra se servir pour s’ancrer dans le monde ou pour élaborer son fantasme s’il s’engage ultérieurement dans une analyse. Le pari est qu’il parvienne à entrer dans un discours, dans une modalité du langage qui lui permette de révéler sa singularité et de se lier aux autres à partir de celle-ci.
Loin de promettre les effets d’une analyse en tant que telle, ni a fortiori le bien-être – ce qui serait une imposture – le traitement court ouvre la possibilité pour le jeune sujet qui vient consulter que sa parole morde sur le réel qui a fait traumatisme et réduise la tyrannie du surmoi. Un effet thérapeutique d’apaisement s’en déduit. Le consultant est aussi, par sa formation psychanalytique, en mesure d’affronter l’impossible et parfois d’accepter l’incurable.
S’adresser au CPCT autorise un sujet à se désintoxiquer « de l’overdose des savoirs […] et de la connexion [6] » pour mettre au travail ce qu’il perçoit comme étranger en lui. Une double condition incombe alors au consultant : d’une part, mettre de côté le discours de l’Autre pour autoriser l’adolescent à entrer dans un discours qui lui soit singulier ; d’autre part, s’orienter du discours analytique qui seul permet de saisir un bout du réel en jeu. Loin de tout idéal de guérison, cette logique de discours peut amener un adolescent à une mise en ordre signifiante et à un réglage de sa jouissance, voire à une rectification subjective ou à un questionnement sur son inconscient.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 70.
[2] Miller J.-A., « Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée & psychothérapie », La Cause freudienne, no 48, juin 2001, p. 8.
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 12 novembre 2008, inédit.
[4] Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 51.
[5] Miller J.-A., « Psychanalyse et psychothérapie », La Cause Freudienne, no 22, octobre 1992, p. 10.
[6] Laurent É., « Jouir d’internet », La Cause du désir, no 97, novembre 2017, p. 16.