Dans son argument de la journée FIPA, Virginie Leblanc-Roïc isole une triple valeur de la libido : déplacements/fixation/fixité, ouvrant à un enjeu pour le praticien de nos institutions orientées par la psychanalyse : quels effets de mutation sont-ils possibles dans ces dispositifs ? Quelles mutations libidinales y lit-on ? Ces effets ont un préalable. Dans le Séminaire L’Acte psychanalytique (1967-1968), Lacan pose que « la psychanalyse, ça fait quelque chose. [1] » Ce « quelque chose » fait advenir l’acte saisi comme « franchissement [2] » d’un « certain seuil où je me mets hors la loi [3] ».
L’année de ce Séminaire, Lacan monte le ton à l’endroit de ses élèves en rappelant que ce sont les psychanalystes eux-mêmes qui ont oublié la découverte de l’inconscient ! Rien que ça ! Comment l’expliquer ? Il touche à ce que les analystes ont baissé les bras justement devant l’acte en refoulant « l’acte de l’analyste » dans une cure. « Pour revenir à nos moutons, dit-il, la tâche, c’est la psychanalyse. L’acte, c’est ce par quoi le psychanalyste se commet à en répondre. [4] » Il ajoute : « Dès lors nul étonnement que l’acte, en tant qu’il n’existe que d’être signifiant, se révèle apte à supporter l’inconscient [5] ». L’Acte psychanalytique est la réponse aux mots qu’il emploie pour désigner alors l’état de la psychanalyse : c’est le creux de la vague, l’invention s’étiole – voici la carence, l’impasse, l’incompréhension, le ratage, l’oubli, l’achoppement, la trahison – plus décisif : l’échec. Rappeler ces termes radicaux de Lacan n’est pas pour décourager mais pour poser la responsabilité du psychanalyste dans ce qui advient dans la psychanalyse : « Ce n’est tout de même pas du discours de l’inconscient que nous allons recueillir la théorie qui en rend compte [6] », martèle-t-il, excédé. La théorie est à la charge de l’analyste – une théorie active.
Oui, affaire interne aux seuls psychanalystes, diront certains ne se voulant pas concernés ! Pas du tout, répond Lacan : « L’acte psychanalytique regarde, et fort directement, et d’abord dirai-je, ceux qui n’en font pas profession. [7] » Autrement dit, c’est parce que nous avons à savoir ce que l’acte psychanalytique est et n’est pas que les conduites des consultations et traitements, dans les CPCT et institutions associées, doivent être convoquées. Prioritairement ceci : si le clinicien orienté par la psychanalyse, à son tour, veut reculer devant l’acte, il oubliera, pour lui-même, la découverte de l’inconscient et s’avérera incapable de savoir comment des effets cliniques, où se lisent les mutations de la libido, peuvent advenir. La spécificité de cette clinique nouvelle dans la FIPA s’en trouverait aussitôt diluée dans la multiplicité des pratiques où l’inconscient n’est plus aux commandes. Sans l’acte, impossible de nommer les effets thérapeutiques se déduisant des moyens psychanalytiques engagés ou de repérer ce qui fait inventions cliniques. L’acte est au cœur des CPCT et autres institutions. Chaque clinicien a à s’en commettre d’y répondre – ce sera sa mise !
Hervé Castanet
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xv, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil et Le Champ freudien, 2024, p. 12.
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 17.
[4] Lacan J., « La méprise du sujet supposé savoir », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 346.
[5] Ibid., p. 356.
[6] Ibid., p. 330.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre xv, L’Acte psychanalytique, op. cit., p. 31.