Patricia Bosquin-Caroz
Dans le contexte d’une catastrophe climatique de l’été 2022, des praticiens d’orientation psychanalytique ont créé une antenne CPCT [1] dans la région la plus sinistrée de Belgique. Le pari consistait à concevoir, plus que jamais, le psychanalyste comme un « objet nomade, et la psychanalyse comme une installation portable, susceptible de se déplacer dans des contextes nouveaux [2] », particulièrement aux prises avec une nouvelle forme du malaise contemporain : le bouleversement climatique. Une offre de parole fut ainsi faite à des personnes traumatisées sur les lieux sinistrés.
L’expérience nous a à nouveau enseigné, que le trauma en tant qu’il fait trou dans la trame du sens, peut se forger à l’occasion d’une catastrophe, en tant que le choc traumatique ramène le sujet à une situation antérieure où prend son origine la véritable source du traumatisme. Si la plupart des situations ont mis clairement au jour cette structure de l’après-coup, d’autres ont pu prendre une tonalité distincte. En effet, il aura parfois suffi que des sujets soient subitement confrontés à la destitution sauvage d’une figure idéalisée d’un personnage central de leur vie, pour qu’ils logent dans cette disgrâce contingente le réel du traumatisme. Quand chute l’Idéal, apparaît alors l’objet qui habituellement reste voilé au sujet. Et comme le signalait J.-A. Miller : « C’est le point d’où il devient possible pour le sujet de se défaire de toutes les idéalisations qui produisent les traumatismes. [3] »
Cependant, dans ce contexte nouveau, nous avons surtout pris la mesure de la fonction essentielle de l’habitat dans l’économie subjective de l’être parlant. À l’occasion de l’effraction ou de la destruction de celui-ci, le parlêtre ramené à un état proche d’une Hilflosigkeit primitive, pouvait laisser entendre la fonction sociale et/ou d’enveloppe corporelle qu’il constitue. En perdant tout – maison, objets communs ou objets investis d’une histoire singulière – certains assistaient, sidérés, à l’effondrement de leur monde. Le monde virant dans cet instant à l’immonde.
Pourtant, une maison ne se réduit pas seulement à son architecture, elle est « un prolongement de la volonté de faire-maison, du désir de transformer le monde pour pouvoir l’habiter [4] ». En construisant une maison, en l’habitant, chacun crée son monde dans l’espace du monde en y creusant son trou. Ancrage, rempart, repaire, nid, tanière, refuge, antre, appui… Les métaphores sont foison décrivant la fonction d’abri que constitue l’habitat. Mais comme l’indique Lacan, il ne s’agit pas seulement de s’établir à l’intérieur, « ce n’est pas simplement une notion d’intérieur et d’extérieur, c’est la notion de l’Autre, de ce qui est Autre comme tel, de ce qui n’est pas l’endroit où l’on est bien calfeutré [5] ». La dimension de la claustration instaurant la dimension de l’Autre, Autre chose. C’est que l’habitat, ce stabitat [6], se noue pour chacun à la dimension de lalangue que l’on habite.
Ainsi, un dispositif tel que le CPCT appliqué à ces situations d’urgence peut offrir un lieu où le parlêtre pourra réhabiter lalangue dont il a été à l’occasion éjecté.
- Texte écrit à partir de l’article : « Nouvelles modalités d’effraction traumatique : du monde à l’im-monde », paru dans Mental, no 46, novembre 2022, p. 173, et réalisé à la suite de la soirée de l’Antenne liégeoise du CPCT-Bruxelles du 1er juin 2022 intitulée « Climat et trauma ».
[1] Antenne liégeoise du CPCT-Bruxelles créée en août 2020 au moment du confinement et réactivée suite aux inondations en région wallonne.
[2] Miller J.-A., « Vers Pipol 4 », Mental,no 20, février 2008, p. 186.
[3] Miller J.-A. (s/dir.), Effets thérapeutiques rapides en psychanalyse. La Conversation de Barcelone, Paris, Agalma – Le Seuil, 2005, p. 40.
[4] Coccia E., Philosophie de la maison. L’espace domestique et le bonheur, Paris, Payot et Rivages, 2021, p. 123.
[5] Ibid.
[6] Lacan J., « L’Étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 455.