Loin d’être considérée comme on ne sait quelle poussée primitive de l’instinct,
la pulsion freudienne [est] précisément identifiée
à une chaîne signifiante inconsciente
dont la satisfaction se détache en tant qu’objet.
Jacques-Alain Miller, « L’objet jouissance »
En proposant un traitement à Chloé, le consultant a choisi de donner une consistance à ce qu’elle dit taire ou fait taire par son silence. C’est un acte qui fait exister le sujet là où il se dérobe. Une parole peut alors émerger.
Au début du traitement, je m’étonne que chacune des séances soit marquée du discours courant celui qui s’appuie sur les maux/mots de l’époque. Chloé raconte son histoire, bâtit son identité sans que résonne la causalité d’une chaîne signifiante. Par ces formules, un peu factices, un peu convenues, Chloé négative le trop de réel de la langue, à défaut de pouvoir se faire dupe de celle-ci. Elle tient à dire son incroyance dans la parole. Comment faire émerger le sujet alors même que celui-ci se défend de l’effet de la langue ?
Le dispositif du CPCT, sa gratuité, son orientation analytique, devient l’objet de la colère de Chloé, laquelle réitère celle adressée préalablement à une autre figure dont l’absence prolongée est venue déséquilibrer le champ libidinal, laissant le sujet au bord du passage à l’acte.
C’est à se tenir dans une fraternité discrète 1, telle que Lacan l’indique dans son article « L’agressivité en psychanalyse », que l’analyste peut manœuvrer. En soulignant ce que la colère contient, une pointe de vie, Chloé formule sa difficulté à l’éprouver dans son corps. En l’absence d’appui sur l’objet cause du désir, elle se désole devant un quotidien si restreint. Cette interprétation produit alors une ouverture pour Chloé, lui permettant de localiser sa libido dans une parole qui nomme son égarement dans le monde. Cette nomination, parce qu’elle enserre un bout de réel, donne une autre consistance au sujet, qui trouve à se dire dans une langue qu’il peut habiter. Jacques-Alain Miller indique que « Nommer est établir un rapport, instaurer ce rapport entre le sens et le réel, non pas s’entendre avec l’Autre sur le sens, mais ajouter au réel quelque chose qui fait sens. 2 »
Hélène Bocquet
CPCT Lyon
1 Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 124.
2 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Pièces détachées », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 15 décembre 2004, inédit.