Par Carina Arantes Faria, Marie Brémond et Phénicia Leroy, La Soucoupe Belgique
La soucoupe est née en 2011, afin d’accueillir des enfants qui ne parviennent pas à s’inscrire dans les offres ordinaires d’activités extra-scolaires.
La formule choisie fut celle de proposer à un petit groupe un temps de loisir libre, c’est-à-dire de laisser l’enfant s’approprier objets, espace et temps comme il le souhaite.
Les rencontres lors des Samedis loisirs sont ponctuelles, les enfants et intervenants diffèrent. Ainsi, dans cette clinique flash [1] comme nous l’avions nommée, il ne s’agit pas de lien privilégié à un intervenant ou à un type d’activité, mais bien de permettre à l’enfant un usage singulier et chaque fois renouvelé dans son lien à ce qui l’entoure (les objets, les espaces, les autres enfants et intervenants).
Bien que l’enfant retrouve le même espace d’un samedi à l’autre, cette contingence de la rencontre invite à considérer chaque samedi pris un par un, avec la dimension transférentielle prise au plus près de la fonction, comme le soulignait Éric Laurent lors d’une journée de formation : « Il est certes très important que nous installions le transfert avec une personne, mais tout en sachant que nous sommes surtout une fonction. […] La fonction est utile, en ceci qu’elle permet de considérer que ce n’est pas « l’être » de l’analyste qui agit […]. Plutôt, une fonction se détache. Et, une fois qu’on incarne cette fonction, on voit bien en effet qu’on peut permuter les personnes. […] Au fond, dans les institutions […] comme la vôtre, on joue sur un registre différent, mais c’est autorisé […] différemment par la structure. […] Cela permet d’apprendre que ce n’est ni l’amour pour une personne, ni le contenu de l’atelier qui décide de l’intérêt de l’enfant ! […] on voit combien c’est une ascèse [2] ».
L’équipe de La soucoupe a comme boussole la clinique psychanalytique : le sujet autiste n’est pas un sujet à normaliser ou rééduquer, mais bien un sujet à accompagner dans ses inventions pour se construire un bord. Nous nous appuyons sur les développements théoriques d’auteurs du Champ lacanien, ainsi que sur les nombreux travaux d’institutions orientées par la psychanalyse appliquée.
L’apocabille ! L’effet surprise d’une néo-nomination.
L’institution suppose également un partage des objets entre les sujets. C’est ainsi qu’un samedi, entre coupures de l’espace et du temps, l’inaccessibilité d’un objet phare fait enrager une enfant dont le corps s’effondre au milieu de ses cris. Sachant que le jeu « éparpiller-ramasser » l’intéresse, l’intervenante lui propose un bac de billes pour tenter de ramasser son corps et accueillir son expression colérique. L’intervention calme l’enfant, mais l’opération doit se répéter, provoquant ainsi de nombreuses envolées de billes dans la pièce.
C’est quand, parmi nous, une autre enfant nomme fermement l’opération en scène, que le déluge réel trouve son point d’arrêt : « c’est une vraie Apocabille cette histoire, ça suffit, y en a marre ! ». La surprise produit un renversement : enfants et intervenants réunissent les billes en un temps record. La coupure pour saisir le réel en jeu commence par la proposition de l’intervenante et se conclut par l’effet surprise de l’interjection de l’autre enfant.
Cette trouvaille [3] a une double entrée : d’une part, elle permet de condenser la jouissance. D’autre part, ce witz [4] – ce jeu de mot, cette condensation – produit un effet de surprise qui, non seulement arrête le débordement, mais le fait changer de registre : du réel du trop de jouissance au registre de la symbolisation, par la dimension ludique du langage.
[1] Terme élaboré au moment d’une supervision de l’équipe avec Alexandre Stevens en 2014.
[2] Laurent É., « Commentaire du texte de Sina Foroughi », Quarto, no 126, décembre 2020.
[3] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 13 mai 1975, inédit : « un trou qui vaille ».
[4] Cf. Freud S., Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, Folio, 1992.
