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L’Überrraschung

À l’ouverture du chapitre iv du Séminaire xii, Lacan évoque l’Überrraschung, le « surprenant » pour les psychanalystes qui viennent à leur pratique parce qu’ils « savent qu’il va se passer quelque chose […] quelque chose qu’on pourrait qualifier de miraculeux 1 ». Lacan poursuit en notant qu’au fil du temps, le psychanalyste a refoulé « cet étonnement à ses frontières » au risque de se satisfaire d’un « savoir trop sûr de lui 2 ».

Ce que l’Überrraschung arrache – comme le fait entendre la langue allemande – au trop sûr du savoir, c’est « le signal, l’illumination, la brillance qui, à l’analyste désigne qu’il appréhende l’inconscient 3 ». Ce quelque chose « de l’ordre de l’expérience subjective de celui qui passe tout à coup de l’autre côté du décor et aussi bien sans savoir comment il a fait –, c’est cela, l’Überrraschung 4 ».

Enzo, le jeune-homme titre du film de Laurent Cantet et Romain Campillo, est dans un moment de rupture, aux prises avec le flux et reflux de la libido qui, à l’adolescence, pousse à rompre les digues avec violence. Il cherche à arracherau décor parfait dans lequel il étouffe, une vérité, un sens, une place qui ne serait pas déjà tracée. Il se cogne en lui-même à cette poussée « invariable » de la libido dont la fixité se laisse deviner sous l’agitation des gestes et des actes qui s’emparent de lui. Tous les possibles/aucun. Où serait la « vraie vie » ? Trouver, choisir, chercher, le sépare, ouvre des tranchées dans les liens anciens et nouveaux où engager son corps. Tout le regarde jusqu’au chaos du monde en guerre mais n’ouvre aucune réponse. Nul savoir bouclé sur les questions qui tremblent. Des brèches. Avec les parents, les rencontres et le puissant surgissement de la sexualité. 

Le suivre dans ses refus, ses élans, son désir, met le spectateur en apnée sur la crête de l’Überrraschung que l’exigence du scénario ne lâche pas.

À la fin du film, Enzo reçoit un appel. Quelque chose se déplace dans son corps qu’il pose, son visage qui se concentre. Le bourgeon d’un dire traverse la tension de son écoute, le trébuchement de sa parole. Sa réponse à l’appel, qui le surprend, se colore de la brillance discrète de ce qui fait passer « de l’autre côté du décor ».

Cette brillance discrète de l’inconscient que certaines œuvres saisissent, cet Überrraschung auquel Lacan nous invite à rester attentifs dans l’accueil de celles et ceux que nous recevons, signe l’ouverture possible de « cette voie, ce sentier, cette trace » où le sujet « sait tout au moins qu’il est sur son propre chemin 5 ».

Qui s’engage sur ce caminho 6 de langue avec l’analyse peut avoir chance de percer « sa propre opacité », d’assécher les « différents modes d’énonciation qui la nourrissent » 7 en « mani[ant] délicatement 8 » les filets de la libido pour pouvoir « à nouveau circuler dans le monde 9 ». Qui s’y engage peut avoir chance d’éprouver la vigueur du désir que serre, de si près, la frontière de l’étonnement.

Ariane Chottin

Lacan J., Le Séminaire, livre xii, Problèmes cruciaux, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Le Seuil/Le Champ freudien, 2025, p. 76.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Miller, J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 8.
7 Ibid. p 23.
Leblanc-Roïc V., Argument de la 6ème journée de la FIPA, blog de la Fipa, disponible sur internet.
9 Ibid.

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