Martine Revel, Consultante CPCT-GAP
Le dernier enseignement de Jacques Lacan, avec sa clinique borroméenne oriente la pratique des CPCT et autres lieux de la FIPA. Parfois, des demandes – initiées par les services sociaux – se présentent avec toute la brutalité [1] de l’irruption du réel dans la vie d’un sujet, et nous interrogent alors sur la possibilité d’une entrée dans le dispositif et ses éventuels effets thérapeutiques.
Notre orientation clinique ouvre à des dits-mensions : « C’est un espace habité par le parlant, un espace dont les points se déterminent du coinçage des ronds de ficelle [2] ». C’est un espace dans lequel se disent les jouissances singulières à chacun.
Cette notion d’espace permet d’entendre comment les nouages se font, ou se distendent, glissent les uns sur les autres ou les uns sous les autres. Il en découle un style particulier dans l’accueil. Il ne s’agit plus d’être à l’écoute, mais quelquefois d’être là en-corps pour qu’un autre corps désarrimé puisse y trouver appui. Ce à quoi ont affaire ces lieux de la FIPA, ce sont souvent à des corps dénoués de la parole, ou à des paroles qui filent toutes seules sans arrimage.
Il ne s’agit pas de traiter l’urgence – car dans le cas du CPCT-Gap les délais d’attente sont souvent très longs – ce qui nous éloigne encore d’une pression du thérapeutique.
Notre appui est cette clinique du nouage et du dénouage. Les effets qu’on peut dire thérapeutiques de la fin d’un traitement sont donc d’abords des effets analytiques… à condition d’en déplier les éléments, de se servir de ces dits-mensions dans les réunions cliniques indispensables à ce tissage. Ces réunions trouent la pratique de chacun ; « rappelez-vous mon nœud en question, il en faut au moins trois pour que ça fasse trou tourbillonnant. S’il n’y a pas de trou, je ne vois pas très bien ce que nous avons à faire comme analystes [3] », nous dit Lacan.
« Améliorer la position du sujet », pourrait alors prendre valeur de « respiration ». Ainsi par exemple, pour que celui qui était venu dans un chaos de tous les instants, puisse dire : « À l’endroit du travail, maintenant ça tient. » Ou pour cette petite fille toute rouge pendant ses terribles crises d’eczéma, le rouge étant aussi et malgré tout sa couleur préférée : fixée à cette couleur… de peau qu’elle montrait à tous, choisir, au terme des séances, de se faire acheter des bracelets de toutes les couleurs qu’elle faisait jouer à ses poignets lors d’un dernier entretien. Eh bien oui ! C’est bien de ça dont il s’agit dans la pratique au quotidien du CPCT : faire jouer cet espace en 3D pour que tous ceux que l’on reçoit puissent s’en saisir à leur manière et y trouver souffle de vie même ténu.
[1] La Sagna Ph., « La psychanalyse appliquée », Eurofédération de psychanalyse, Biarritz, 4 juin 2016.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 13 novembre 1973, inédit.
[3] Lacan J., « Des religions et du réel », texte établi par J.-A. Miller, extrait du discours de clôture des Journées d’études des cartels de l’École freudienne de Paris, 13 avril 1975, La Cause du Désir, no 90, juin 2015, p. 11.