Il n’est pas rare que les sujets qui s’adressent aux institutions de la FIPA le fassent avec les diagnostics de l’époque. La dépression en fait partie et, avec elle, la demande de fonctionner à nouveau, voire d’accéder au bonheur. Dans son Séminaire sur L’Éthique de la psychanalyse, Lacan prévient que « leur aspiration au bonheur impliquera toujours une place ouverte à un miracle, une promesse, un mirage de génie original ou d’excursion vers la liberté 1 » et c’est ce que le psychanalyste s’offre à accueillir. Si, chez le déprimé, le retrait de la libido s’accompagne d’une fermeture de l’inconscient, la psychanalyse propose une autre voie de sortie que les objets de consommation et la promesse d’un Moi fort. Celle-ci, que Lacan qualifie de pratique sans valeur, concerne le bien-dire, qui touche à ce qui ne peut se dire, au nouage entre la jouissance et le signifiant. C’est le désir, autre nom de la libido freudienne, qui est alors mobilisé.
À la dépression, Lacan a préféré le terme de tristesse qui survient quand le sujet lâche sur son désir et s’offre à la jouissance. J.-A. Miller précise que « [d]e la tristesse, Lacan fait une affaire de savoir. 2 » Beaucoup de sujets s’adressent à nous parce que la pression est trop forte au travail, dans les études ou dans leur vie privée, lorsque le sujet accède à une position qu’il convoitait jusque-là et que le sentiment de réussite le dispute à l’affect de douleur d’exister. Le sujet triste maintient un idéal de complétude auquel il n’a pas accès et reste englué dans l’imaginaire. Lacan lui oppose le gay-sçavoir, qui noue la jouissance et le savoir. Ainsi, l’impossible du savoir ne pousse pas à se taire, mais à bien-dire, à soutenir un désir inédit.
Jacques-Alain Miller évoque la fonction de l’analyste comme « moteur immobile [en tant] qu’il anime l’autre à se mouvoir et à venir 3 ». Le lien qui se crée entre le sujet et l’analyste suppose que celui-ci soit investi libidinalement. Ce lien, c’est le transfert, qui a moins à voir avec les sentiments qu’avec le savoir supposé. S’il sait que ce savoir, il ne l’a pas car il est sans sujet, l’analyste pour autant fait usage de cette quantité libidinale transférée sur sa personne. Il s’y prête et, par sa manœuvre, incarne cette fonction de représenter la cause du désir. Ce qui vaut le déplacement du sujet n’est pas tant le savoir qui lui serait transmis par le clinicien – savoir au sens de la connaissance – que le savoir inconscient, à la base du symptôme. Dans ce sens, le transfert peut faire barrage au travail en maintenant la satisfaction libidinale incluse dans le symptôme. Dans le travail avec les sujets que nous recevons, il s’agira donc plutôt de dépasser la résistance libidinale, de déplacer par petites touches le mode de jouir du sujet qui, dès lors, pourra éventuellement s’en faire responsable et assumer sa position désirante. C’est ce que les cas présentés lors de la prochaine journée de la FIPA à Lille tenteront d’éclairer pour nous.
Cécile Wojnarowski
1 Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’Éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 350.
2 Miller J.-A., « Les affects dans l’expérience analytique », La Cause du désir, no 93, p. 110.
3 Miller J.-A., « La séance analytique », Hebdo-blog, no 198, 5 avril 2020, disponible en ligne, cité par Virginie Leblanc-Roïc dans son argument.