Amaury Cullard, Consultant au CPCT-Strasbourg
Le CPCT Strasbourg est un CPCT dit « précarité », c’est-à-dire qu’il se propose plus particulièrement de recevoir des sujets qui sont touchés par celle-ci. Elle peut être pécuniaire, sociale, mais elle est surtout et avant tout symbolique.
Un grand nombre de sujets qui nous adressent une demande ne peuvent faire usage des discours communs, des solutions toutes faites, prêtes à l’emploi. Pour nous orienter quant à la forme à donner à ces traitements, au positionnement à adopter, nous nous référons aux nombreux travaux de notre École sur cette question. Ainsi, la définition que donne Éric Laurent des traitements de la psychose nous semble essentielle pour certains cas : il s’agit d’ « une sorte de conversation sur la jouissance [1] ». Jean-Claude Maleval ajoute sur ce point : « Une conversation éclairée […] se doit d’être dirigée vers une contention de la dérégulation agie ou fantasmée de la jouissance [2] ».
Pour qu’une telle conversation puisse avoir lieu, encore faut-il, à chaque fois, pour chaque sujet, repérer les conditions qui la rendent possible, déterminer l’intervention qui va pouvoir l’initier. Il s’agit là d’un préalable à tout travail ayant chance d’opérer une amélioration de la position du sujet. Cela nous amène à penser qu’une des réponses, en ce qui concerne la psychose, à la question qui fait l’objet de notre prochaine rencontre – « Comment améliorer la position du sujet ? » – est : déterminer pour chacun les conditions d’une conversation sur la jouissance.
Pour ce jeune homme qui parle radicalement seul, ne pose aucune question, ne prête aucun savoir à l’Autre et pour qui toute coupure de ses énoncés produit des effets physiques, il aura fallu que le consultant patiente jusqu’à l’énoncé d’un constat concernant son nouveau travail qui fera « révélation » pour ce sujet : « J’aime creuser ! » Le consultant se saisira de ce moment de surprise pour donner toute sa valeur à ce premier énoncé marqué d’une forte subjectivité. L’adresse de premières questions par le sujet nous semble constituer les prémices d’une conversation possible sur la jouissance à laquelle il a affaire.
Pour cette autre, qui développe des « problèmes somatiques » qui la fatiguent et provoquent un « manque d’énergie » quand sa hiérarchie ne la laisse pas faire les choses comme elle le veut, la conversation ne s’engagera qu’à partir du moment où le consultant se sera plié à ses nombreux décalages de rendez-vous et qu’elle aura vérifié que ceux-ci ne provoquent ni colère, ni remarque. Il faudra aussi que, prenant au sérieux son intérêt pour les grands auteurs des pays de l’Est et le « Beau », le clinicien cite, en la raccompagnant à la porte, une phrase de Dostoïevski. Cela l’amènera à évoquer sa recherche de « repères » dans ces œuvres pour mettre à distance l’Autre menaçant.
Pour que la conversation sur la jouissance s’initie, il est certainement nécessaire que nous « soyons […] des objets assez souples et tolérants, […] pour que des usages soient faits de nous qui ne sont pas normés, ni entièrement prévisibles [3] ».
[1] Laurent É., « Les traitements psychanalytiques de la psychose », Feuillets du Courtil, no 21, 2003, p. 17.
[2] Maleval J.-C., « Pour une conversation sur la jouissance avec le sujet psychotique », La Cause du désir, no 108, juillet 2021, p. 177.
[3] Miller J.-A., « Du psychotique à l’analyste », La psychose ordinaire. La convention d’Antibes, Paris, Agalma/Seuil, 2005, p. 343.