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Prendre la parole

En acceptant de déplacer son corps jusqu’au CPCT, l’adolescent en souffrance cède un tant soit peu sur sa jouissance à rester dans son univers, occupé à scroller d’une vidéo, d’une story ou d’un réel à l’autre. Comme le note Virginie Leblanc-Roïc dans son argument, un déplacement de libido s’opère déjà avec la première consultation. La libido se détache de l’imaginaire, l’ado acceptant de se débrancher de son réseau ou de son jeu favori pour le temps d’une rencontre qui a lieu corps présents, en chair et en os.

Le consultant n’exige rien de lui mais il le surprend en lui donnant la parole, hors la présence du parent qui l’a accompagné. L’adolescent va-t-il accepter de laisser ses lathouses de côté  et se saisir de ce don de la parole, acte dans lequel, nous dit Lacan, «  réside toute la réalité des effets de l’expérience psychanalytique[1] » ? Le mode de présence analytique du consultant est alors déterminant, fait d’attention aux signifiants qui surgissent mais aussi de silence, faisant consister un vide où la parole du jeune peut être accueillie. L’absence d’admonestations et de conseils ouvrent un espace nouveau où il pourra dire sa plainte, élaborer ses affects et laisser sa libido investir le champ du langage puis d’autres objets, en particulier dans le lien social.

Un jeune ado que l’Autre dit « hyperactif » et « violent » décide, à sa seconde séance, de délaisser le siège standard sur lequel il s’agite pour s’emparer d’un vieux fauteuil pivotant laissé dans un coin de la pièce. De ce nouveau lieu dont il prend possession, sans que le consultant s’y oppose, ayant accepté de ranger son téléphone, il prend la parole en tant que Je, « en première personne[2] », sans cesser de se trémousser sur le siège qu’il a élu. Il  témoigne ainsi tant de la fixité de la libido que d’un effet divan. Comme l’indique J.-A. Miller, peut alors commencer à se « détacher de la jouissance, une parcelle qui puisse faire […] l’objet d’une narration[3] » ;  pour ce sujet s’amorce alors un travail de deuil  sur les objets qu’il a perdus lors de l’exil familial de son pays en guerre.

Frank Rollier,  CPCT Antibes


[1] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Seuil, Paris 1966, p. 322.
[2] Ibid., p. 251.
[3] Miller J.-A., « Le salut par les déchets », Mental, N° 24, p. 14.

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