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Quand l’Autre est rompu, quels déplacements ?

Le ventre de Jules s’est mis à faire du bruit. Il a eu l’idée que toute la classe l’entendait et a dû partir. Un réel intrusif dans le corps convoque le sujet à se mettre en dehors de la scène, « réécriture de la libido en tant que jouissance qui est du registre du réel[1] ». Ses pairs tentent de l’apaiser mais leurs bonnes intentions le laissent isolé et en colère. Le recevoir sans devancer aucun de ses projets contribuera à ce qu’il obtienne son diplôme pour écrire sur le monde et son immonde. 

Les études supérieures d’Arthur viennent en opposition avec ses idéaux. Il quitte cette formation en cours d’année. Le non-sens s’étendait à tout ce qui constituait sa vie, pas sans haine de lui-même.« Quand [Lacan] fait de la libido le désir dans le registre symbolique, il souligne l’annulation de l’objet par le signifiant, […] raison de la pulsion de mort[2] ». Arthur a pu, par ses présences et absences à nos rendez-vous, trouver un métier artisanal, déplaçant son intérêt pour la « fabrication ».

Frida, dont l’image dans les vitrines fait surgir une présence au-dessus de son épaule qui lui pointe : « Regarde comme tu es grosse », a suspendu ses études : « Je suis présente à tous les cours. Que je sois là ou pas ne change rien à l’existence des autres. » Un professeur lui a dit que tous les étudiants vivaient cela et que « comme elle », lui aussi était passé par là. Frida a suspendu son projet de s’en aller. « Quand [Lacan] fait de la libido un terme du registre imaginaire, il souligne ce qui s’attache d’agressivité à l’objet libidinal [3] », dans une réversibilité entre le narcissisme et la relation d’objet. Je soulignerai la décision de Frida de devenir « artiste » dans la réalisation de productions hors d’elle. Apaisée, exposant ses œuvres, en poursuivant ses études, elle décide alors de cesser nos rendez-vous, précisant que je serais toujours présent pour elle. 

Ces trois registres de l’écriture de la libido par J.-A. Miller permettent de saisir l’unarisme de la pulsion incluant la pulsion de mort mais aussi le trou qui permet d’en déplacer l’issue. Suivre Jules, c’est se situer toujours derrière lui. Pour Arthur, la série des entretiens ne doit pas faire poursuite. Le départ de Frida permet de circonscrire l’énigme de son phénomène imaginaire sans le faire grossir de sens. La perspective d’aborder le sujet à partir de l’Un séparé, et non plus à partir de l’Autre qui est rompu [4], ne va pas sans brouillage, passions, haine de l’autre ou de soi et une touche de transfert négatif, « sa primarité [5] ». « Celui qui sait, dans l’analyse, c’est l’analysant. » et l’analyste « n’est plus à la place du sujet supposé savoir, il est à la place de celui qui suit » [6]. Un déplacement peut s’opérer qui permet au sujet de se débrouiller avec sa singularité par une « distance [7] » nécessaire. 

Alain le Bouëtté – Bapu[8], Rennes


[1] Miller J.-A, « Transfert, répétition et réel sexuel. Une lecture du Séminaire xi », Quarto, no 121, mars 2019, p. 17.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Cf. Laurent É., « Le traitement psychanalytique de la psychose et l’égalité des consistances », La Conversation clinique, Le Paon, le champ freudien éditeur, 2020, p. 45.
[5]Ibid., p. 49.
[6] Ibid., p. 45.
[7] Miller J.-A, « L’orientation lacanienne. Le tout-dernier-Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 14 mars 2007, inédit.
[8] Bureau d’aide psychologique universitaire.

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