L’association de la souffrance et du travail, établie dans le nom « Souffrances Au Travail 1 », s’est constituée au moment d’une perturbation de l’ordre symbolique dans le discours du maître 2, occasionnant, au un par un, un bouleversement dans le régime de la libido pour ceux qui s’y sont trouvés pris. Ici, ces personnes ne font alors pas appel à l’association SAT pour une « inhibition au travail 3 ».
Travailler dans le plaisir, dans la satisfaction, c’était, autrefois, s’appuyer sur la structure de langage, à sa guise, mais selon les règles, des procédés du métier, pour la réalisation d’un objet, d’un produit particulier. De base, travailler est donc déjà un dire, permis par le discours du maître. Mais, avec cette bascule, il y a bien longtemps que cette poiesis du travail a été éradiquée par le déchaînement capitaliste 4, qui a généralisé la division « du désir et du travail 5 ». Aujourd’hui, les sujets s’emparent de l’expression « souffrance au travail » quand ils ont plus largement affaire à ce dénouage entre désir et travail, dans toutes les modalités qui peuvent survenir sur le lieu d’exercice et/ou dans le lien du sujet à l’autre, aux autres 6.
Un exemple nous est donné dans le texte de Freud « Communication d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique 7 ». Dans les cas les plus graves, le corps a répondu là où il y a eu « cession subjective 8 », c’est-à-dire impossibilité pour le sujet de répondre à la situation qu’il rencontrait.
Les sujets qui se rendent à SAT sont adressés par le médecin généraliste, la médecine du travail, ou via le site internet. Accueillir le dire de cette souffrance, c’est accueillir un sujet destitué de son désir. Telle personne, agent de nettoyage, qui rencontre, sur son lieu de travail, un point de perplexité dans le surgissement du réel d’un enfant mort ; tel autre, psychologue, confronté à la négation de son travail par l’Autre de la hiérarchie ; tel encore, carrossier, endolori par la méchanceté raciste de ses collègues. Malgré lui, le sujet se voit se convertir en objet, face à la consistance que prend, pour lui, l’Autre. Une jouissance qui peut aussi le pousser au passage à l’acte. Dans certains cas, le praticien peut assister, pas sans son interprétation, au déplacement de la libido, notamment quand apparaissent certains signifiants de l’histoire du sujet qui produit sa demande d’entrer dans le dispositif analytique. Ainsi la dureté attribuée à sa responsable, brillante universitaire, a-t-elle dévoilé, pour tel sujet, la figure d’un proche. Quoiqu’il en soit, la division du travail et du désir s’inscrit, pour tout sujet, dans la singularité des vicissitudes de sa libido.
René Fiori
1 Cf. https://souffrancesautravail.org/
2 Cf. Leguil F., « Posface » & Dhéret J. « Quand le travail ne vient plus à l’homme », in Fiori R. & al., Souffrances Au Travail. Rencontres avec des psychanalystes, Paris, éditions SAT, 2014.
3 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1951, p. 3.
4 Cf. Frantz E. « La frappe du désir », Souffrances Au Travail…, op. cit., p. 84.
5 Lacan J., « La chose freudienne », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 432.
6 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien » (2000-2001), enseignement prononcé dans le cadre de l’université Paris 8, inédit.
7 Cf. Freud S., « Communication d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1981.
8 Frantz E. « La frappe du désir », Souffrances Au Travail.,op. it. & Leguil C., Céder n’est pas consentir, Paris, PUF, 2023, p. 44-49 et p. 200 & sq.

