Mal logée, la libido fait souffrir. C’est cette souffrance qui en amène certains dans les institutions de la FIPA pour que leur libido trouve à se frayer une voie plus satisfaisante. Pour cela, nul conseil du thérapeute au patient, nulle indication donnée par l’un à l’autre, nulle domination d’un qui saurait en quoi consiste le Bien de l’autre, mais une écoute attentive aux plus infimes détails et qui sache user de l’interprétation.
Mais il y a un paradoxe de la libido : si elle peut trouver des lieux d’investissement qui font souffrir le sujet, au niveau de la pulsion, elle est pourtant toujours satisfaite. Du fait de sa poussée constante, elle fait feu de tout bois (ou presque) et trouve à s’employer diversement, à se déplacer.
Lorsqu’un sujet déplace son corps jusqu’à l’un des lieux de la FIPA, il opère un premier déplacement de libido dans la mesure où il faut, pour cela, investir ce lieu de l’espoir d’y trouver quelques solutions. Un second déplacement advient quand la souffrance muette du symptôme fait passer la libido qui y est investie dans l’effort de la mettre en mot. Il n’est ainsi pas rare de constater un grand soulagement dès passée la première séance. Les effets de ces deux premiers déplacements pourraient sembler incompréhensibles, voire magiques, si on ne considérait la dimension économique du symptôme : la libido qui y est engagée est susceptible de se mouvoir pourvu que sa satisfaction soit assurée.
La libido est ainsi tout ce qu’il y a de plus labile, et en même temps, elle peut aussi bien se fixer. Il n’y a qu’à voir comment le discours capitaliste s’y prend pour la capter et la maintenir dans la consommation. Nombre de jeunes voient aujourd’hui leur libido se fixer au plaisir des jeux vidéo. Mais si certains de ces jeux sont plus addictifs que d’autres, c’est qu’ils offrent sans cesse de nouvelles récompenses, fussent-elle virtuelles. L’objet a comme manque irréductible, appelle les objets plus-de-jouir qu’il s’agit de collectionner sans espoir pourtant de voir la collection se compléter jamais : le défaut de jouissance du corps parlant étant de structure, cette attente n’est jamais comblée. Cette tentative de fixation de la libido des consommateurs par la récompense ou le cadeau promis est un outil marketing puissant. Les offres et autres coupons de réduction poussent à la consommation de produits que nous n’achetons pas tant par désir du produit lui-même, que pour celui qui viendra en plus, promettant un surcroit de jouissance.
Reste que, dans la jungle des cadeaux, récompenses et autres objets que le grand capital propose à la jouissance des uns et des autres, ces objets prêt-à-jouir taillent toujours trop large pour satisfaire le désir d’un sujet dans ce qu’il a de plus singulier. La libido ne se satisfait en effet réellement qu’à emprunter une voie qui lui soit propre : elle est étroite, parce qu’unique. Ainsi, si le consommateur revient à l’objet de consommation pour tenter de se satisfaire encore et toujours, c’est rarement sans angoisse à l’endroit où manque à sa quête un point d’arrêt.
Virtuel ou matériel, l’objet qui fait miroiter une satisfaction sans partage se tient à l’horizon de l’asymptote et, selon le principe même du ravage, l’insatisfaction qu’il laisse malgré ses promesses, l’invite à réitérer l’expérience toujours plus et jamais assez. Seule une parole articulée au réel que traite ces fixations de libido permet à cette libido de se déplacer vers une satisfaction qui ne se paye pas du prix de l’angoisse que « le manque de manque » fait toujours surgir. Dans les institutions de la FIPA, on voit alors la libido opérer un premier déplacement qui en annonce d’autres, où satisfaction de la pulsion et satisfaction du sujet trouvent quelques résonnances. C’est ce que nous verrons à Lille, juste après l’été prochain.
Anaëlle Lebovits-Quenehen