Avec l’attention particulière des intervenants aux signifiants des jeunes, une institution orientée par la psychanalyse peut être le lieu où une pratique artistique permet le déplacement du registre du réel vers celui du semblant.
Le faire artistique peut, pour certains sujets, s’avérer une des manières de traiter l’objet pulsionnel non extrait. L’atelier peut alors servir de biais quand la prise de parole se présente comme insupportable ou impossible. L’institution, comme lieu vidé d’intention mais pas de désir, devient un espace à partir duquel des signifiants et des objets se mettent à circuler et à faire lien. C’est ce que montre le parcours de Véronique et Arthur à Périsphère1.
Véronique annonce d’emblée : « Parler, c’est l’enfer, tout est flou ! » En effet, nous constatons que, dès qu’elle parle, le sens fuit, le réel envahit tout le champ, elle se tortille, un rire nerveux la traverse, parfois elle va jusqu’à se jeter à terre. L’absence de point de capiton empêche l’effet rétroactif de la chaîne signifiante, ce qui laisse la jeune fille dans ce qu’elle nomme « un mental en champ de bataille ». Lors d’un atelier, Véronique crée un calepin truffé de petits agencements de dessins et d’écritures mixant l’enfantin et l’horreur ; calepin avec lequel elle circule et à partir duquel s’engagent des conversations. Nous relevons qu’elle le nomme « carnet d’artiste ». Cette écriture connecte jouissance et signifiant. Son corps joui, joué par le signifiant, s’apaise et s’unifie un peu. Un déplacement s’est opéré, elle n’est plus tout à fait identique à l’objet.
Depuis qu’il a été harcelé à l’université, Arthur vit avec sa mère. À Périsphère, il reste le plus souvent hagard, le regard dans le vide, ne s’anime que lorsqu’il peint.
Sa mère reste garée devant notre centre durant tout l’atelier et fait irruption sous n’importe quel prétexte. Tenant compte de l’inséparation fondamentale, nous réservons alors une place déterminée et limitée à la mère à Périsphère en invitant mère et fils à venir nous parler à deux, lors d’entretiens.
Peu après, Arthur arrive avec un dessin qu’il nous offre, nous l’affichons dans le bureau. Périsphère devient donc un point d’adresse hors du champ maternel. L’objet se transfère au champ de l’Autre. Ensuite, il nous adresse un courrier dans lequel il fait état de sa souffrance. La jouissance se déplace vers un objet extérieur en même temps que le regard et la voix se localisent.
Pour chacun d’eux, le déplacement de leur jouissance a opéré un nouage entre semblant et réel. Pas sans transfert !
Nathalie Crame
Périsphère
1 Périsphère est une institution créée et animée par une équipe pluridisciplinaire qui vise l’accueil et l’accrochage de jeunes désinsérés par le biais d’ateliers artistiques ouvrant à une nouvelle possibilité du goût pour la parole.