Un sujet arrive à la décision de parler à quelqu’un, selon la formule consacrée. Parler, oui ! Il veut parler, il ne demande que ça. Il tente de raconter à celui qu’il imagine être un interlocuteur, les raisons de sa demande. Il souffre, il est tracassé, empêché, angoissé. Il essaie d’expliquer et les mots se bousculent. Plus il est en difficulté pour préciser ce qui lui arrive, plus les mots lui viennent de manière désordonnée, parfois chaotique. Comment dire à celle ou à celui qui l’écoute combien sa douleur est vive ? Combien le sentiment d’injustice l’accable ? Combien des pensées incontrôlables l’assaillent ? Comment expliquer des histoires de famille douloureuses, des événements tragiques qui peuvent émailler une vie ?
Enchaînement
La « jouissance passe au signifiant et les termes signifiants s’enchaînent les uns aux autres [1] », par conséquent, ce n’est pas une mince affaire de se positionner face à la « demande de parole ». Le dispositif proposé par les CPCT et d’autres institutions de la FIPA, oblige à une délimitation de la parole. S’agit-il d’une contre-diction ?
Le signifiant délimitation est à mettre en opposition au signifiant enchaînement. Si nous avançons avec l’idée que la jouissance est infiltrée dans le signifiant, plus ça parle, plus ça s’enchaîne, plus ça jouit. La restriction ne concerne pas seulement le quantum de parole mais la jouissance charriée par le fait de trop laisser le sens se dérouler. Si cette orientation est celle de la psychanalyse pure, la brièveté des traitements orientés par la psychanalyse appliquée implique avec plus de fermeté de troquer le plus de parole contre des « manières façons de dire [2] » précises et singulières. Quand ce déplacement se produit, un effet dans l’énonciation est palpable et de légers mouvements subjectifs ont lieu.
Les déplacements obtenus sont à mettre en lien avec cette invitation à cerner et non à dérouler. La durée limitée du traitement oblige à introduire des coupures et des points d’arrêt dans le flux de la parole qui ne demande qu’à poursuivre son déploiement.
Et si on affirmait que tout déplacement dans l’énonciation implique un déplacement de la libido ? Dé-placer, dé-ranger, dé-fixer cette force insidieuse qui fait que la parole s’enroule sur elle-même ? Il convient de rappeler que l’invitation est à dire, à rendre compte par la voie du détail de la façon dont la jouissance percute le corps. Un tel changement d’énonciation fait que la distribution de la libido contenue dans les mots de la langue bouge. L’expérience issue de la clinique des CPCT démontre que, parfois, un déplacement d’un mal-dire vers une nouvelle façon de le diremobilise celle ou celui qui parle. Démontrer comment s’opère ce mouvement dans un temps si court est un pari. Le rendez-vous du mois de septembre à Lille sera l’occasion pour en saisir un petit bout de savoir. Parions.
Omaïra Meseguer
Présidente du CPCT-Paris
[1] Miller J-A., « L’orientation lacanienne. Donc. La logique de la cure », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 6 avril 1994, inédit.
[2] Lacan J., « Conférence à Genève sur Le symptôme », texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, no 95, janvier 2017, p. 12.