Pris dans une jouissance solitaire, les jeunes qui s’adressent à notre institution présentent une fixation de la libido aux écrans (séries, jeux, scrolling), aux substances psychotropes ou à l’alcool. S’en extraire et sortir de chez soi pour venir au premier entretien constitue déjà un premier déplacement de libido 1.
Notre dispositif place l’objet artistique au cœur de la rencontre à travers des ateliers animés par des artistes et soutenus par des intervenants ; ce faisant, il permet l’instauration progressive du transfert. De nouveaux déplacements de libido sont alors constatés « où satisfaction de la pulsion et satisfaction du sujet trouvent quelques résonnances 2 », aux ateliers eux-mêmes mais aussi lors des entretiens organisés selon une fréquence propre à chaque jeune. Le souci de bien dire le réel auquel ils ont affaire permet en ces différents lieux d’explorer des signifiants nouveaux.
Au travers des médias que sont la sérigraphie, la BD, la danse, la photo ou le théâtre, les ateliers offrent un traitement qui passe par un faire. Dans les œuvres dessinées, écrites, dansées, déclamées, photographiées, viennent se localiser, le temps de l’activité, les objets a que sont la voix, le regard, l’objet oral ou anal, que la majorité des jeunes que nous accompagnons ont« dans la poche 3 ». Ainsi, les ateliers éloignent le sujet de l’être au profit du faire, sous la forme d’une extériorisation de l’objet ; « l’issue la plus favorable […] est celle qui consiste dans une certaine extériorisation de l’objet, hors de soi, dans une production ou une réalisation […] qui capture les bribes pulsionnelles présentes dans le sujet 4 ». Cette « néo-localisation 5 » de l’objet a par le faire s’accompagne d’un déplacement de libido qui mène, parfois, à une nouvelle nomination habillant le sujet.
Un sujet dont la libido était entièrement rivée à des objets délétères (alcool et hypnotiques) fréquente Périsphère depuis quelques années. Sa libido s’est partiellement déplacée autour des signifiants du voyage, voilant son être de déchet. Il voyage, et il n’est plus seul dans son canapé: nous faisons dorénavant partie du circuit. Il s’est inscrit comme membre sur une « appli » qui localise les avions dans le monde, l’informant de leurs trajets, hauteurs, vitesses et accidents. En sérigraphie, il réalise alors des autocollants multicolores brillants, y inscrivant, en une forme condensée, une syllabe de son prénom accolée à une syllabe du nom d’une compagnie aérienne, en face du dessin d’un avion au décollage. Un nouveau signifiant surgit, constitué de son prénom et de –ways. Travail sur son nom à partir de la lettre, provoquant reconnaissance et rire dans la « paroisse 6 » de notre institution.
Valérie Loiseau
1  Leblanc-Roïc V., « Argument », Blog de la 6e Journée d’étude de la FIPA, disponible sur internet : https://www.causefreudienne.org/evenements/deplacements-de-la-libido/
2  Lebovits-Quenehen A., « La libido et sa récompense », Blog de la 6e Journée d’étude de la FIPA : https://fipa.causefreudienne.org/la-libido-et-sa-recompense/
3  Lacan J., « Petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne », 10 novembre 1967, inédit, disponible sur internet.
4  Zenoni A., « Séparation de soi et autonomie », p. 11, disponible sur internet : https://reseau2.be/wp-content/uploads/2021/07/zenoni-separation-de-soi-et-autonomie.pdf
5  Zenoni A., « Circuits de l’objet », conférence du 6 juin 2024 donnée à l’occasion de la matinée d’étude « Couper/coller. Jeunes en décrochage, éthique et clinique », Louvain-la-Neuve, inédit.
6  Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les Formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p 118.

