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S’orienter à partir de la thèse de la forclusion généralisée

Hervé Castanet, Directeur du CPCT-Marseille

Le prochain congrès de l’Association mondiale de psychanalyse qui se tiendra au printemps 2024 a pour titre : « Tout le monde est fou ». En quoi cette affirmation concerne-t-elle la clinique quotidienne dans nos CPCT et autres institutions de la FIPA ? En quoi sert-elle pour améliorer la position du sujet et nouer effets thérapeutiques et effets analytiques, les premiers procédant des seconds ?

Pas d’Autre de l’Autre

L’aphorisme « Tout le monde est fou » oriente le dernier enseignement de Lacan. La forclusion généralisée nomme, pour tout parlêtre, ce trou réel que le symbolique ne peut résorber, où loge l’Autre jouissance supplémentaire et non complémentaire. La distinction structurale névrose / psychose, déployée dans le Séminaire III, n’est pas pour autant désuète mais trouve, dans une clinique continuiste de la gradation, du plus et du moins, un autre enjeu. S’il n’y a pas d’Autre de l’Autre qui préserve du réel alors demandons-nous à propos de chaque patient qui s’adresse au CPCT : non pas est-il ou n’est-il pas fou ? mais plutôt : comment un patient (au fond chacun de nous) peut-il ne pas être fou ? S’orienter de la forclusion généralisée fait du Nom-du-Père un opérateur pour nommer ce trou du désir maternel sans pour autant donner une garantie où l’Autre, par la loi, trouverait sa complétude. Au temps du réel sans loi, soit le réel impliqué par la forclusion généralisée [1], il est nécessaire de repérer les solutions singulières en réponse à cet Autre sans garantie – seule la contingence faisant rencontre. Le signifiant sexuel est toujours forclos et la fonction phallique se promeut comme suppléance. Le bien-être s’y révèle pastorale d’une complétude qu’il n’y a pas.

Vrai versus Réel

La perspective clinique est bougée par rapport à celle des classes. Une conséquence : le père du Un présentifié par le Nom-du-Père est pluralisé. La subversion est ici : l’enjeu n’est pas de repérer ce que devient le réel lorsqu’il est abordé à partir du symbolique, comme dans le Séminaire XI où le symbolique de l’automaton est réel — c’est le réel-ordre —, ou bien le réel est inassimilable par le signifiant — c’est le réel-trauma. Il s’agit plutôt de savoir ce que deviennent le symbolique et l’imaginaire lorsqu’ils sont abordés à partir du réel. La perspective s’inverse.

S’orienter de la sorte n’est pas une garantie faisant protocole mais un enjeu qui fait pari pour le consultant à penser « sourcilleux », suivant une expression utilisée par Omaïra Meseguer [2]. Et pour celle/celui qui s’adresse au CPCT ? Quelle sera sa mise, même limitée ? Consentira-t-il (elle) à la rencontre (contingence) ? Pour que cet enjeu se dénude, le clinicien doit avoir cette boussole du réel de la contingence inséparable de la forclusion généralisée : autrement dit, le réel échappe à la puissance du vrai. C’est un biais précieux pour assurer l’éventuelle entrée car la possibilité de la sortie est posée ; certes un biais à manier avec modestie puisque le consultant aura à se déprendre de la puissance du vrai dont il est peut-être l’amoureux inconsolable. La déprise est d’autant plus l’ascèse du clinicien engagé au CPCT que l’amour phallicisé du vrai est le lot du névrosé.

Une telle orientation est éloignée de toute réponse à l’Autre social, ce « poison », dont parle Jacques-Alain Miller, qui envahit souvent les psychothérapies : répondre à une telle demande de soigner voire guérir n’est pas de la « psychanalyse appliquée à la thérapeutique, c’est de l’assistance sociale d’orientation lacanienne [3] », pour reprendre ses mots critiques. La forclusion généralisée est préalable pour que les effets thérapeutiques soient rapportés à ce qui fait le lot du parlêtre : la vie ne veut pas guérir. La solution par le seul Nom-du-Père butera toujours sur cet os. Le patriarcat en sera pour ses frais – et la psychanalyse aura une chance de subversion.


[1] Miller J.-A., « Forclusion généralisée », La Cause du désir, no 99, juin 2018, p. 133. 

[2] Meseguer O., « Quand le consultant dit non », Soirée clinique du CPCT-Paris du 9 septembre 2022. Cf. Miller J.-A., « Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée & psychothérapie », La Cause freudienne, n° 48, mai 2001, p. 8 : « Ce qu’il faudrait, c’est que la psychanalyse appliquée à la thérapeutique reste psychanalytique et qu’elle soit sourcilleuse sur son identité psychanalytique. »

[3] Miller J.-A., « Interventions à Barcelone », Entretiens d’actualité, n° 33, 16 décembre 2008, publication en ligne de l’ECF. http://forumpsy2008.blogspot.com/2008/12/entretiens-dactualit-n33.html

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