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Rendre au sujet sa fluidité

Lilia Mahjoub

L’École de la Cause freudienne, sous l’impulsion de Jacques-Alain Miller, a pris toute la mesure de l’incidence de la psychanalyse dans le social, en déclenchant une action en référence à la politique de la psychanalyse, celle de la création de lieux où serait reçu le tout-venant en mal d’être.

Le titre de la Journée de la FIPA qui rassemble les travaux émanant de ces lieux, soit Comment améliorer la position du sujet, renvoie à cette politique.

On pourrait d’abord être arrêté par le terme améliorer et y voir d’étranges résonances avec des méthodes qui fleurissent le parterre des marchés du bien-être et du bonheur. Il n’y a qu’à se pencher sur les tables des libraires pour voir que les livres sur le bien-être ou le développement personnel qui s’y étalent sont bien plus nombreux que ceux de psychanalyse. La pratique du coaching est à ce point en plein essor que les autorités s’en inquiètent et une enquête de la DGCCRF [1] a connu quelques retentissements ces jours-ci. On parle de réglementer la profession, pour écarter les pratiques frauduleuses.  

Que vise donc l’améliorer utilisé par Lacan pour se distinguer de l’usage commun de ce terme ? Il convient pour cela de souligner que Lacan ne dit pas qu’il s’agit d’améliorer le sujet, mais d’améliorer la position du sujet.

Le but de l’enseignement de Lacan, comme il le formulait lui-même, était « de faire des psychanalystes à la hauteur de cette fonction qui s’appelle le sujet [2] ».

Le sujet n’est pas l’individu, ni un état de celui-ci. On ne le façonne donc pas, ni le transforme pour lui faire changer d’état.

Le sujet n’est pas non plus un corps, au sens où il est réduit dans les pratiques du bien-être au corps du plaisir. Lacan a utilisé l’expression du corps parlant justement pour l’en distinguer. Et il a ajouté celle de parlêtre pour désigner l’inconscient. Je renvoie ici aux développements que fait Hervé Castanet [3] pour contrer la croyance que le corps et l’être ne feraient qu’un. Il mentionne, citant Jacques-Alain Miller, que « l’identification de l’être et du corps […] a comme résultat d’effacer le sujet [4] ».

C’est bien ce que le psychanalyste a pour devoir, celui non seulement de ne pas effacer le sujet, mais, si je puis dire, celui de le promouvoir et d’en établir la fonction, soit quelque chose qui est à distinguer du psychisme.

Comment faire émerger le sujet en tant qu’il n’est pas assimilable ni à l’individu, ni à la personne, ni non plus à ce qui n’aurait ses lettres de noblesse que dans la cure analytique proprement dite ?

Le sujet, Lacan n’a pas cessé de le rappeler, c’est ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant.

Lacan avance que le sujet est fabriqué par un certain nombre d’articulations qu’on appelle chaîne signifiante et à laquelle est sous-jacent le désir des parents, ou désir de l’Autre – ce qu’il faut faire entrer en ligne de compte, même et surtout quand ce désir a fait défaut concernant la venue au monde du sujet en question.

N’est-ce pas ce qu’il convient dans un premier temps d’explorer dans l’accueil d’une demande au CPCT, afin de donner quelque chance au sujet de se faire jour ?

L’amélioration porterait alors sur la position du sujet qui pourrait ainsi varier voire changer, et ce, à partir d’une demande s’exprimant d’abord comme plainte.

Car, le sujet n’est pas ce qui fait le discours, à savoir que rien qu’en écoutant celui qui passe la porte nous aurions affaire au sujet, mais bien ce qui est fait par le discours, voire coincé par celui-ci.

L’on sait que Lacan, en fonction des divers discours qu’il a élaborés, assigne au sujet une position différente selon les discours. Le changement de position est le résultat d’une bascule d’un discours dans un autre, ce qui témoigne du passage par le discours analytique. Ce sont donc là des effets analytiques.

La position du sujet n’est donc pas une et entière, c’est-à-dire quelque chose qui serait fixé, déjà là, saisissable comme tel, et partant qu’on pourrait remanier, renforcer, restaurer, etc.

Il ne suffit pas pour autant de définir le sujet comme étant divisé, car ce n’est pas toujours le cas, ce qui se vérifie par la chaîne signifiante. Le sujet divisé n’est pas celui qui doute ou qui ne sait que choisir entre plusieurs choix qui s’offrent à lui, non plus celui qui dit vouloir ou ne pas vouloir ceci ou cela, et encore moins celui qu’il faudrait croire sur parole quand il désigne la raison de sa souffrance. Ne pas confondre l’énoncé et l’énonciation s’impose pour apercevoir la fonction du sujet au niveau de cette dernière.

Améliorer la position du sujet serait lui rendre sa fluidité à travers les discours, par la voie signifiante et son fonctionnement. Ce serait déjà un petit pas pour le sujet et un grand pas pour le malaise dans la société.


[1] La DGCCRF, c’est la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

[2] Lacan J., « Place, origine et fin de mon enseignement », Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 58.

[3] Castanet H., Neurologie versus psychanalyse, Paris, Navarin, 2022, p. 153.

[4] Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, no 44, février 2000, p. 13.

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