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Oreiller et oreilles

Jérôme Lecaux

Au CPCT, lors de l’accueil d’un sujet, la fin est mise avant le début : le sujet sait que le nombre de séances va être limité. Ceci est conforme à la psychanalyse d’orientation lacanienne qui annonce qu’une analyse a une fin. C’est la fin de l’analyse, avec l’équivoque de ce terme, qui crée une orientation. Cela crée une limite dont on peut se servir comme point d’appui. Pour certains sujets, c’est même une condition nécessaire.

Qu’il ait une fin n’empêche pas que le discours analytique se spécifie du fait de suspendre toute utilité directe et de ne pas vouloir le bien du sujet. Pour beaucoup de sujets, rencontrer le discours analytique est une expérience inédite. Il est d’autant plus surprenant de constater combien la plupart d’entre eux s’en saisissent rapidement et en font un usage qui leur est propre. Notre question pourrait être : comment vont-ils pouvoir se servir de nous ? Il peut arriver qu’ils s’en serrent, avec deux airs de rien [1].

Pourtant, rencontrer un interlocuteur qui ne vous veut rien ne suffit pas. C’est le fait que ce soit un interlocuteur qui ait du répondant, y compris par son silence, qui crée la possibilité d’une rencontre qui produise des effets. En somme, c’est la rencontre d’un désir, qui ne soit pas un désir thérapeutique, qui permet au sujet d’améliorer sa position. C’est parce qu’on ne lui veut rien qu’il peut, lui, éventuellement, vouloir quelque chose de nouveau. C’est par l’offre d’une place vide que le praticien crée la demande qui n’est pas forcément là au début, mais peut l’être dans un effet d’après-coup.

Le sous-titre qui juxtapose « effets thérapeutiques, effets analytiques » noue un paradoxe : il lie ensemble des sens contraires. Le lire comme une différence s’entend : « il y a des effets thérapeutiques et il y a des effets analytiques, ce n’est pas la même chose ». Le lire comme une apposition signifie « il y a des effets thérapeutiques, mais ceux-ci sont néanmoins analytiques ». De la même façon, un CPCT peut être un lieu où se produit un effort de lecture. Une lecture de ce que le sujet dit, au-delà de la dimension sémantique. Au fond, les mots qu’un sujet dit, nous n’en connaissons pas la signification, du moins celle que lui leur donne, ou les résonances qu’ils produisent chez lui, les résons qui sont les siennes. Mais, de savoir qu’il nous parle dans une langue étrangère, la sienne, nous permet de tenter une traduction, même partielle, pas sans lui. De prendre langue en somme. C’est-à-dire d’éviter de se précipiter dans le sens commun [2], ça peut faire événement. Ainsi, le trajet qu’un sujet fait pour venir à ces séances peut-il devenir un trajet dans la langue. Souvent, c’est dans le rapport à un signifiant que cela se joue ; on pourrait alors dire qu’une des façons « d’améliorer la position du sujet », c’est de lui permettre de mieux s’installer dans la langue, comme on installe mieux le malade dans son lit en améliorant la position de son oreiller. Parfois, c’est en reposant ses oreilles : parler peut servir à faire taire la voix qui vocifère.


[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 81 : « Ça sert à rien, mais ça serre. »

[2] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 514 : « Encore y a-t-il du sens qui se fait prendre pour le bon sens, qui par-dessus le marché se tient pour le sens commun. C’est le sommet du comique » et Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 16 : « qui fait bien sentir combien l’interprétation analytique est elle-même à rebours du sens commun du terme ».

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