Par Angèle Terrier, Directrice du CLAP-Paris
Qu’est-ce qui particularise la pratique avec les jeunes enfants et leurs parents au sein d’une institution orientée par la psychanalyse d’orientation lacanienne ? Comment accueille-t-elle le souci thérapeutique des parents concernant leur enfant, parfois véhiculé par un professionnel qui les oriente pour un symptôme à traiter ? Disons qu’il s’agit toujours d’admettre la jouissance présente au cœur du lien familial, de lui faire une place et d’entamer cet Autre du savoir, selon l’indication de Jacques-Alain Miller dans la distinction qu’il opère : « On préserverait, dans la psychothérapie, la consistance de l’Autre, alors que ce qui serait le propre de la position analytique qui ouvre à la psychanalyse proprement dite, ce serait déjà, en admettant la question de la jouissance, d’inconsister l’Autre. [1] » Car, le ressort du désir de l’analyste est basé sur « le refus de l’auditeur-interprète d’utiliser le moyen de sa toute-puissance supposée, identificatoire [2] », là où la psychothérapie en visant le bien-être du sujet institue un Autre auquel il obéit car il sait ce qu’il faut pour lui [3].
C’est pourquoi l’enjeu, dans chaque nouvelle rencontre avec une famille, est de subvertir la demande thérapeutique afin d’ouvrir une dialectique possible du désir, par la voie d’une opération analytique qui peut s’avérer alors à son tour thérapeutique [4].
Les parents d’aujourd’hui sont souvent en proie à un certain déboussolement face à la multiplicité des discours éducatifs véhiculés dans notre monde contemporain qui dénudent les semblants et ouvrent sur une absence de garantie. Les enfants, eux, sont parfois « asphyxiés [5] » par l’Autre dont ils dépendent, mais aussi par les diagnostics issus du dépistage précoce des troubles dits neurodéveloppementaux selon les logiques actuelles de prévention. L’analyste quant à lui « ne peut opérer avec l’enfant qu’à condition de n’être serf d’aucun conformisme [6] » ; il lui permet ainsi de retrouver une respiration quand l’Autre, dans lequel il est nécessairement pris, ne laisse aucune place à son savoir su ou insu. Attraper le réel qui conduit une famille à frapper à la porte d’une institution d’orientation lacanienne est possible à condition d’accueillir « le lien symptomatique [7] » qui tisse ces familles, et d’interroger les liens que tissent à leur tour l’enfant et ses parents avec le praticien qui les reçoit.
Cette offre transférentielle s’installant au sein d’un dispositif souple peut produire des effets notables dans l’existence de jeunes sujets. Faire exister de tels lieux dans la ville est un pari à l’heure où « la thèse neuro [8] » s’impose à tous les étages actuels de la clinique et de l’épistémé. Ils constituent des lieux de résistance et de véritables « bases d’opération [9] », comme en témoigneront les cas cliniques présentés lors de la prochaine journée de la FIPA.
[1] Miller J.-A., « Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée et psychothérapie », La Cause freudienne, no 48, mai 2001, p. 14.
[2] Ibid., p. 12.
[3] Cf. Miller J.-A., « Psychothérapie et psychanalyse », La Cause freudienne, no 22, 1992, p. 4.
[4] Cf. Ibid., p. 12. Cité dans l’argument de la journée.
[5] Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Navarin, Paris, 2011, p. 19.
[6] Ibid.
[7] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, le lieu et le lien », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, dix-huitième séance, inédit.
[8] Cf. Castanet H., Neurologie versus psychanalyse, Navarin éditeur, Paris, 2022.
[9] Expression utilisée par Lacan au sujet de l’École. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 238.
