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« Améliorer la position du sujet » : bien-être ou bonheur ?

Thierry Vigneron, Président de l’AREA-Dijon – Accueil Recherche Écoute-Adolescents, centre de consultation d’orientation psychanalytique et de traitements pour adolescents et jeunes adultes.


Pouvons-nous souscrire à l’optimisme tempéré de Lacan, pour ceux qui frappent aux portes de nos institutions FIPA ? « Chacun sait que l’analyse a de bons effets, qui ne durent qu’un temps. Il n’empêche que c’est un répit, et que c’est mieux que de ne rien faire. [1] » Quelle est cette amélioration de « la position du sujet [2] » évoquée par Lacan dans son Séminaire X ? Si la guérison n’arrive que « de surcroît [3] », comment définir ces « bons effets » ? Lacan ajoute peu après une précision augustinienne, concernant l’amour qui peut se définir comme vouloir le bien, voire « le bien-être de l’autre ». Il en donne aussitôt la limite : « l’amour s’obstine parce qu’il y a du Réel dans l’affaire… tout le contraire du bien-être de l’autre [4] ». Mise en garde pour celui qui vise le bien, le bien-être de l’autre, qu’ignorent manifestement nos Saint Just contemporains qui font du « bien-être » une idée neuve en Europe. L’économie du bien-être garde ses attenances à la Welfare politique dont nous avons en mémoire l’ombre implacable de normes et d’évaluation. Une récente publication de la HAS rappelle la définition de la santé par l’OMS : « un état de complet bien-être physique, mental et social, (on reconnaît le bio-psycho-social) [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité [5] » ; suit immédiatement le rappel de la signature par la France de la CIDE qui nous enjoint de veiller à la conformité… aux normes relatives à la sécurité et à la santé [6]. Le social, le bien-être pour tous, ne vont pas sans l’universel de la norme essayant de régler un réel qui n’en peut mais. Que la satisfaction de tous puisse avoir de fâcheux effets sur le bien-être de chacun, Rawls le savait qui essaya d’y parer [7].

Freud, citant Heine, dans son Malaise dans la civilisation donne avant l’heure une version du bien-être bio-psycho-social : « Je suis l’être le plus pacifique qui soit. Mes désirs sont : une modeste cabane avec un toit de chaume, mais dotée d’un bon lit, d’une bonne table, de lait et de beurre bien frais avec des fleurs aux fenêtres ; devant la porte quelques beaux arbres ; et si le bon Dieu veut me rendre tout à fait heureux, qu’il m’accorde de voir à peu près six ou sept de mes ennemis pendus à ces arbres. D’un cœur attendri, je leur pardonnerai avant leur mort, toutes les offenses qu’ils m’ont faites [8] ». Le bien-être bute ici sur le réel du prochain. Pour compléter sa doctrine du bien-être, suivons Freud rejoignant le café Landtmann avec Ferenczi ; il évoque plaisamment l’envers du malaise, Das behagen in der Unkultur qui l’attend : le bien-être dans l’inculture [9].

Si le bien-être suppose une norme, méconnaît le réel, exclut la civilisation, comment rendre compte de l’amélioration qui ne peut se réduire à la satisfaction du sujet et encore moins à la santé définie pour tous ?

Jacques‑Alain Miller articule et oppose le bien-être et le bonheur : « en dépit de ses plaintes, le sujet est toujours heureux : quoi qu’il lui arrive, il l’utilise pour répéter […]. Le bonheur […] est affaire de pulsion [10] ». Vient l’opposition au bien-être : « La satisfaction de la pulsion n’assure nullement que le sujet se sente bien.[11] » Le bonheur relève d’une « satisfaction inconsciente » qui n’assure d’aucun bien-être. Le « bon heur » est alors ce que le sujet répète d’une satisfaction insue, et Lacan construit ici à partir de la tuché d’Aristote, un point de réel qui n’a pas nécessairement l’heur de plaire[12].

Nos institutions FIPA peuvent témoigner de ce qui fit pas pour chacun : bon-heur d’une vocation[13] ou du choix du partenaire, surprise du mutisme laissant place au dire, voire au bien-dire, virage de l’angoisse dirimante au symptôme qui fait question. Pas sans ébranlement du bien-être ni sans transfert à l’occasion négatif, mais point d’appel pour l’avenir.

Alors : « Rien n’est plus vacillant […] que le concept de guérison[14] » ? Aux journées FIPA d’en répondre.


[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », leçon du 8 avril 1975, inédit.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 70.

[3] Lacan J., « Variantes de la cure-type », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 324. De surcroit, c’est-à-dire que la guérison s’ajoute à, mais ne saurait définir le but ou la fin visée par notre « activité ». Lacan reprend sans doute pour la guérison, ce qu’Aristote formule quant au plaisir : « Le plaisir achève l’acte, non pas comme le ferait une disposition immanente au sujet, mais comme une sorte de fin survenue par surcroît » Éthique à Nicomaque, IV, 1174 b.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII,« R.S.I », leçon du 15 avril 1975, inédit.

[5] Site de l’HAS disponible en ligne

[6] Cf. Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée et appliquée en France depuis 1990. Lire l’Article 3.

[7] Cf. Rawls J., Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1987, p. 341. Son principe de différence lui permet-il en effet d’éviter le sacrifice utilitariste de quelques-uns pour le bien-être de tous ? Rawls répondra à la célèbre Controverse des surfeurs de Malibu, modèles de bien-être aux dépens du Welfare state, 30 ans plus tard dans sa Justice comme équité, Paris, La découverte, 2003.

[8] Heine H., Pensées et propos, cité par S. Freud, in Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, p. 63.

[9] Unkultur : l’inculture comme envers de la civilisation, la barbarie aussi bien.

[10] Miller J.-A., « Le bonheur, une affaire de pilule ? », Libération, le 26 mars 2010, disponible en ligne. Voir aussi : Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 14 janvier 2009, inédit.

[11] Ibid.

[12] Cf. Lacan J., Télévision, Autres écrits, Paris, Seuil, 1974, p. 526

[13] Lacan J., Le Séminaire, Livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 70 : « Une analyse qui se termine par l’entrée du patient ou de la patiente dans le tiers-ordre, est-ce une guérison, même si le sujet s’en trouve mieux quant à ses symptômes  ».

[14] Ibid.

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