Alain Le Bouëtté, Consultant au BAPU de Rennes
S’adresser au B.A.P.U. (Bureau d’Aide Psychologique Universitaire) est souvent la conséquence d’un vacillement dans le rapport aux études, les rencontres amicales, amoureuses et le lien familial.
Versant aliénation, c’est le stress, la pression, la multiplication des rencontres, la crainte de ne pas être là où cela se passe. Sur le versant séparation, c’est l’affect dépressif, le sentiment d’imposture, le retrait.
Les pairs sont le plus souvent au premier plan. Cela peut résonner pour un temps avec ce qui intéresse le sujet et faire accroche. Les bureaucraties sanitaires promeuvent la pair-aidance et les centres d’appel et d’écoute dans le partage du même : mêmes émotions, mêmes tourments sans culpabilisation, ni jugement. Des vidéos pour tous circulent pour apprendre à faire avec ce qui tourmente chacun. Cela promeut un individu séparé de sa vérité singulière, devant prendre soin de sa « santé mentale » au nom d’un idéal d’inclusion, effaçant toute particularité au profit d’un universel, en se reflétant dans l’image spéculaire de l’autre. Les plateformes en ligne coordonnant la prise de rendez-vous signalent le pourcentage important d’entretiens non honorés. C’est qu’en voulant réduire les enjeux d’une demande à un clic, ils annulent la prise de position nécessaire du sujet dans son appel.
Au B.A.P.U., nous accueillons au un par un ce qui a fait vacillement. Répondre à une demande d’exposé à l’oral, se retrouver seul au restaurant universitaire, dire oui à une soirée avec des inconnus sans pouvoir échanger sont des instants où surgit ce qui était voilé dans la contemplation de l’image de l’autre et où le sujet rencontre parfois la question du regard porté sur lui. Il se voit vu, mais comme échappant au spectacle du monde. Là où l’appui sur l’image de l’autre avait pu le soutenir, se dévoile l’écart entre le sujet et l’objet, entre l’Autre qui regarde ailleurs et le sentiment de faire tache. L’angoisse est au rendez-vous et peut avoir des conséquences d’isolement, de panique, de persécution ou trouver à s’éponger dans la consommation de toxiques. Ce que le sujet entrevoit ne lui permet plus de neutraliser son propre manque et celui de l’Autre par le pouvoir d’un signifiant ou d’une image.
Dans l’offre de parole, une fenêtre s’ouvre lorsque le sujet parvient à nommer les moments où il a eu le sentiment de faire tache ou de s’être effacé. La production de rêves mobilise les significations et relance le désir, là où le recours aux écrans ou autres gadgets entretiennent le gain de plaisir, en court-circuit de l’autre. Le sujet peut là aussi prendre position dans cette offre marchande des jouissances homogénéisées et vouloir cerner ce qui l’a fixé dans son choix d’études, sa demande de savoir. Dans l’accueil de sa demande et des circuits de sa parole, la jouissance peut prendre corps autrement. Cela n’est pas sans effets d’apaisements thérapeutiques dans un usage nouveau des objets pulsionnels, une mise en mouvement, voire une localisation. L’objet regard est multifocal, bobine suscitant à la fois le regard de l’Autre et permettant au sujet de se faire invisible. « petit a, c’est la jouissance bien à sa place, qui arrive à point nommé [1] », précise Jacques-Alain Miller. Nommer, cerner, épingler ces fonctions du regard en fait surgir son caractère de semblant, défense contre l’illimité de la jouissance solitaire. Donner sa dignité au symptôme comme appareil de la jouissance, permet au sujet de faire déconsister le regard situé au champ de l’Autre ou de le voiler, le situer autrement et d’apercevoir ce qui se jouit dans ce circuit.
[1] Miller J.-A., « Quand les semblants vacillent … », La Cause freudienne, no 47, mars 2001, p. 11.