spot_img

C’est ça qui compte

Par Daniel Roy, coordinateur CLAP « L’enfant qui vient » (CPCT-Aquitaine)

La proposition qui nous est faite pour la prochaine Journée de la FIPA, qui prend appui sur un propos de Lacan dans son Séminaire « L’Angoisse » – « Comment améliorer la position du sujet » – nous conduit à questionner précisément quelle est cette position du sujet, quand il entre dans ce dispositif singulier de traitement bref d’orientation analytique.

Quand il s’agit d’enfants très jeunes, nous avons pendant longtemps eu comme perspective, souvent implicite, d’accueillir un « sujet en formation », un sujet qui apprend à se compter un parmi d’autres (« J’ai trois frères, Paul, Ernest et moi [1]») et est totalement appendu au désir de l’Autre par l’intermédiaire de ses objets pulsionnels. Le point de visée de cet accueil est alors d’accompagner le mouvement de l’entrée dans le langage, qui creuse « un vide », qui fait exister le manque. C’est là que « le sujet » comme sujet à l’inconscient prend ex-sistence comme sujet de l’inconscient, qui ne délivrera aucune identité, mais fera fond pour ouvrir le champ de la signification. Il y a là un saut dans le vide où s’indique déjà la « position du sujet », toujours symptomatique, c’est-à-dire de travers, qui pousse le sujet désormais « en question » à emprunter diverses voies, celles du signifiant, qui lui offrent possibilité de déplacement et de condensation, de métaphore et de métonymie. L’enfant qui commence à parler en est traversé, dans le même temps où il en encaisse plus ou moins facilement l’enjeu, qui est de dépendance et de perte. Cauchemars et phobies sont alors nos boussoles et l’incitation faite à l’enfant dans le transfert à en produire leurs ornementations signifiantes ouvre la voie d’une « amélioration » de sa position de sujet, que l’on dira alors « thérapeutique ».

Mais prenons ici note que les effets de notre rencontre avec l’enfant doivent bien peu à nos talents, mais bien plus à notre position, celle d’incarner de façon réglée, pour un temps, « cette épreuve du désir de l’Autre[2] » – épreuve dans laquelle cet enfant se trouve plongé, comme l’indique la marque de l’angoisse, dans ses négociations avec la demande de l’Autre incarnée par ses parents, ou ses « éducateurs ».

Mais les choses ont changé dans l’économie d’accueil des nouveaux venus. Ces « choses » désignent ici « le statut de l’Autre » et « le statut des objets », qui ont changé et qui changent la position du sujet, et spécialement celle du sujet enfant, qui y est confronté en première ligne. Dans la rencontre, il est donc en avance sur nous.

Du côté de l’Autre « familial », ce n’est plus la dialectique du désir qui domine, mais l’économie des jouissances. Du côté des objets, ce sont les objets (a) « libérés » qui forment constellation autour de l’enfant.

Ainsi pris dans des nœuds de jouissance dont il est l’objet, à la fois enserré et rejeté, l’enfant moderne, trouvant faveur dans le mouvement « hors-corps » de ses propres objets pulsionnels, cherche l’appui, pour prendre « position de sujet », sur ces objets que lui offre « le monde » et qui semblent faire promesse de jouissance sans limite.

Le groupe familial, « résidu[3] » de notre civilisation, est désormais un chaudron où l’enfant naît comme « sujet à la jouissance[4] », à la jouissance de l’Autre et au plus-de-jouir des objets-gadgets.

« L’homme naît dans les fers. Il est prisonnier du langage, et son statut premier est d’être objet. Cause du désir de ses parents, s’il est chanceux. S’il ne l’est pas, déchet de leurs jouissances[5] ».

C’est en ce point que s’articule, quand nous recevons un enfant, sa position comme sujet, c’est-à-dire celle qu’il peut prendre face à « l’épreuve du désir de l’Autre », incarné alors par notre présence.  Les intervenants du CLAP « L’enfant qui vient » se forment à cette perspective et pour cela font place aux signifiants qui surgissent, aux articulations et aux ruptures qui ont lieu dans les dessins, les jeux, les adresses, de façon à saisir quels sont les objets pulsionnels convoqués, s’ils sont des appuis ou des menaces, et s’ils admettent une place pour l’opérateur que constitue le manque. La prévalence donnée souvent à la jouissance des corps et de la langue dans l’économie familiale risque en effet à tout moment d’exclure les signifiants qui circulent de leur valeur libidinale singulière au sujet. Il faut faire alors taire la jouissance de l’Autre, la détourner de l’enfant pris comme objet, pour la faire passer au savoir, en faisant résonner tel signifiant qui vient de s’isoler, en remettant tel objet dans un circuit de semblant.
Si nous y parvenons, alors nous pourrons en faire mémoire et usage lors de la prochaine rencontre, et ce premier signifiant, ou ce premier objet, isolé deviendra premier d’une série, série dans laquelle le sujet peut se compter, et c’est ça qui compte.

Et si nous n’y parvenons pas, refus de l’enfant, obstacle des parents, maladresse ou surdité de notre part, alors, ce sera pour la prochaine fois, et ça compte aussi !

Ainsi quand nos interlocuteurs « dans le social » insistent pour que nous infléchissions notre pratique vers l’éducation à la parentalité pour des groupes de parents, comme prévention des diverses « maltraitances » ou « carences », dont nous ne nions pas à la réalité, nous pouvons nous prévaloir de notre action sur « le groupe familial » en tant que cellule civilisatrice dont les fenêtres et les portes peuvent s’ouvrir quand circule la « transmission d’un désir » et dont les mêmes fenêtres et portes se ferment à toute volonté de « gestion des jouissances ». Ainsi, à partir du moment où, dans la rencontre, l’un des protagoniste – parent et/ou enfant, intervenant – prend à son compte ce qui faisait « crise », en introduisant ou en relevant un dire qui fait mouche, cette prise de position, qui fait signe d’un sujet, transforme le moment critique en symptôme, avec l’effet thérapeutique qu’il induit en tant que tel.


[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière, 2013, p. 92.

[2] Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 693.

[3] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.

[4] Lacan J., Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2022, p. 397.

[5] Miller J.-A., « Préface », in Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant, Navarin, Paris, 2013, p. 11.

Oreiller et oreilles

Jérôme Lecaux Au CPCT, lors de l'accueil d'un sujet, la fin est mise avant le début : le sujet sait que le nombre de séances va...

Rendre au sujet sa fluidité

Lilia Mahjoub L’École de la Cause freudienne, sous l’impulsion de Jacques-Alain Miller, a pris toute la mesure de l’incidence de la psychanalyse dans le social,...

S’orienter à partir de la thèse de la forclusion généralisée

Hervé Castanet, Directeur du CPCT-Marseille Le prochain congrès de l’Association mondiale de psychanalyse qui se tiendra au printemps 2024 a pour titre : « Tout le monde...