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Effets thérapeutiques, effets analytiques Quid du transfert ?

Par Bernard Seynhaeve, CPCT Mons-Tournai

Comment définir ce que serait une amélioration de la position d’un sujet ? Sans aucun doute, le principal critère, c’est ce qu’en dira le sujet lui-même. Jacques Lacan dit bien qu’on arrête lorsque le sujet est heureux (« Il ne faut pas pousser trop loin la cure, dit-il aux Américains »). Et c’est vrai que, après un certain nombre d’années au CPCT Mons-Tournai, pour un certain nombre de sujets, nous avons assisté à des effets thérapeutiques satisfaisants.

Nous faisons offre de parole dans un contexte d’urgence subjective. C’est gratuit. Et nous précisons bien aux personnes qui viennent consulter au CPCT que le nombre de séances est limité.

Cependant, je suis toujours resté insatisfait de la visée thérapeutique du projet. Pourquoi ? parce que la question de l’arrêt des prises en charge et particulièrement celle du destin des personnes que nous accueillons, n’a pas toujours été satisfaisante selon moi. On arrête, dit-on, au bout de seize séances, même si cette limite est un peu élastique. C’était après tout convenu, mais ce n’est pas une raison pour qu’un analysant arrête sa cure. Dans bien des cas, pour plusieurs personnes, cette mise au travail au CPCT doit clairement être considérée comme des entretiens préliminaires. Une supposition de savoir s’inaugure. Un véritable transfert analytique naît, et au bout du compte, on informe le sujet avec des pincettes peut-être, en l’y préparant, en lui rappelant que c’était pour quelques séances seulement. Quelle suite alors à donner à ce travail préliminaire ? Je n’ai pas le souvenir d’un seul cas où le transfert ait pu être transféré vers un confrère en libéral. Dans certaines situations ce travail préliminaire s’est mué en une véritable cure analytique dans un lien transférentiel avec le consultant du CPCT.

Mon interrogation porte alors sur la question de savoir si un transfert se transfère. Et à quelles conditions ?

« La psychanalyse, dit Jacques-Alain Miller, a son départ dans l’établissement minimal, S1→S2, du transfert. […] C’est traduire, en termes de signifiant, la relation qui s’établit, conditionnant l’opération analytique. De ce lien, se trouve produit […] le fameux sujet supposé savoir. […] Il faut que cet embrayage s’établisse d’un signifiant à l’autre pour qu’il en résulte un effet de sens spécial […] et se trouvent alors mobilisés […] les signifiants dans l’inconscient [1] ». L’urgence subjective, telle que Lacan la conceptualise dans ses textes de 1966 et 1967, est le point archimédien de l’établissement du transfert. Cette « urgence » est le moment traumatique où, pour un sujet, la chaîne signifiante a été rompue. Le psychanalyste est celui qui écoute celui qui se plaint d’une rupture aiguë de la chaîne signifiante. Le transfert défini à partir du sujet supposé savoir, met en valeur ce lien S1→S2 du transfert, et le désir de l’analyste consiste à se loger dans cet espace entre S1→S2. Le désir de l’analyste interroge le lien S1→S2, mais ne rompt pas ce lien du transfert.

Même si les conditions de la mise en route du transfert ont bien été définies dès le départ, il est évident que ce transfert n’est pas différent de celui du sujet qui vient nous consulter en cabinet. Nous orientons toujours la cure vers le réel dont le sujet se plaint. S1→S2, du transfert s’instaure. Du point de vue du transfert il n’y a pas de différence.

Certains sujets arrêtent le travail lorsqu’ils estiment que les effets thérapeutiques étaient nécessaires et sont maintenant suffisants, d’autres sujets témoignent d’effets analytiques. Les entretiens au CPCT ont été pour eux de véritables entretiens préliminaires. Le transfert analytique s’est instauré et il ne s’agit pas alors de le transférer, de couper le lien S1→S2.

Les collègues du CPCT Mons-Tournai ont souligné cette même difficulté du transfert au moment où un sujet accueilli par le consultant de l’équipe A était confié à un consultant de l’équipe B. Le transfert s’installe le plus souvent d’emblée dès le premier entretien. Cela nous a amenés à modifier le dispositif d’accueil. Je cite Dominique Holvoet [2]: « Notre nouveau dispositif qui consiste à ce que chaque consultant reçoive en premier entretien le demandeur et poursuive le travail sur les seize séances s’il y a lieu. » Ce dispositif rompt avec la distinction « entretien / traitement ». Après presque un an de ce fonctionnement, je trouve que les effets sont probants.


[1] Miller J.-A., « L’inconscient réel », Quarto, no 88-89, décembre 2020, p. 7. Établi d’après « L’orientation lacanienne » (2006-2007), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, première séance.

[2] Lors d’une réunion interne du CPCT vers la Journée de la FIPA 2023.

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