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Identifier la petite voix

Danièle Olive, Consultante au BAPU-Rennes

La période des études, période charnière, associe un remaniement des relations familiales et amicales, l’effervescence des rencontres et expériences nouvelles et une projection dans l’avenir porteuse de nouvelles responsabilités. Elle ravive la séparation d’avec l’Autre de l’enfance amorcée à l’adolescence, et se montre propice à l’émergence de symptômes ou d’angoisses qui conduisent les étudiants au BAPU. Si ces symptômes se présentent d’abord comme impasse, point de butée, pris en compte, non comme simple dysfonctionnement auquel il faudrait remédier, mais comme porteurs d’un point de réel, ils s’avèrent souvent, pour les étudiants, être un point de passage vers une construction de leur vie plus proche de leur vie pulsionnelle et de leurs désirs propres.

Les symptômes, leur émergence, ne relèvent ni des gènes, ni de la seule profondeur subjective de ceux qui en pâtissent. Ils sont symptômes de sujets qui parlent et en ce sens, ils ont à voir avec les discours qui traversent une époque donnée. Des normes variées riment dans notre modernité avec l’injonction anonyme à la réalisation de soi et nous avons appris avec Lacan à y reconnaitre le surmoi, doublé de cet agent qu’est la voix.

La voix pour Lacan est ce qui « reste de la soustraction de la signification au signifiant », précise Jacques-Alain Miller [1]. Elle relève du registre de l’énonciation. La voix vient à la place de ce qui du sujet est proprement indicible et toute prise de parole mobilise cette dimension. J.-A. Miller distingue la remise de l’objet à l’Autre, l’attente de la voix de l’Autre qui dira ce qu’il en est « de mon être comme indicible », et le sujet de l’automatisme mental qui a déjà la voix de l’Autre avec lui, mais c’est pour préciser que pour tous, « la voix […] habite dans le langage, elle le hante [2] ». Elle nous est d’ailleurs familière la petite voix de la conscience qui en demande toujours plus [3]. Elle accompagne comme son ombre le sentiment de culpabilité. Le sujet se fait coupable non pas de la jouissance, mais du manque de la jouissance, précise Lacan dans son texte « Subversion du sujet et dialectique du désir [4] ». Si d’un côté, le sentiment de culpabilité alimente le pousse à jouir, d’un autre, il signale la présence du sujet. J.-A. Miller articule le sentiment de culpabilité et la production du sujet à partir de la dimension de la réponse, quand on constate l’existence « du sentiment de culpabilité en tant qu’affect du sujet de l’inconscient […] nous pouvons dire qu’il y a un sujet capable de répondre [5] », un sujet qui peut se poser la question de la responsabilité de sa jouissance. L’enjeu n’est pas, sur le mode religieux, de produire un renoncement à la jouissance dont on sait qu’elle nourrit le sentiment de culpabilité, mais « de la fluidifier, de la dé-condenser », au sens où « elle est fixée, condensée, en particulier sous le mode que Lacan appelait l’objet petit a [6] ». La remise en jeu de l’objet dans le transfert, quand elle permet au sujet d’identifier, au-delà des autres auxquels il a affaire, la petite voix qui le ravale et/ou susurre continuellement « Tu aurais pu mieux faire », lui ouvre alors la possibilité d’y répondre et d’engager son énonciation de façon nouvelle. Emma en panne pour organiser ses repas, pourra identifier au-delà de la petite voix qui l’empêche de manger, les injonctions contradictoires de son père, tant sur son alimentation que sur son poids. Trouver en son meilleur ami, un appui pour contrer ces injonctions, lui permettra d’aménager une distance avec ce père, aimé mais aussi encombrant.


[1] Miller J.-A., « Jacques Lacan et la voix », Quarto, no 54, juin 1994, p. 49.

[2] Ibid., p. 51.

[3] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 291.

[4] Cf. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 822.

[5] Miller J.-A., « Santé mentale et ordre public », Mental, no 3, janvier 1997, p. 19. ou en ligne : https://enversdeparis.org/10037/

[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 25 mars 2009, inédit.

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