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La psychanalyse : « Un rapport de concernement »

Par Yasmine Grasser

Les drames de la vie familiale ne manquent pas d’affecter le corps d’un enfant, de dérégler son mode de vie, de gâter ses liens familiaux et scolaires. Ces drames suscitent chez les parents qui s’en inquiètent une prise de rendez-vous. Mais à qui demander de l’aide ? Qui consulter quand on vous dit de « faire suivre » votre enfant et qu’on ne sait pas trop faire la différence entre un psychologue-psychothérapeute et un psychanalyste ?

Certains parents, confrontés à l’injonction d’un « suivi » qui indique que le comportement de leur enfant n’est pas adapté aux réalités scolaires, choisissent d’adresser leurs questions à un psychanalyste, avant de lui confier leur enfant. En réponse, qu’ils consultent dans une institution ou en cabinet, un psychanalyste d’orientation lacanienne aura à s’enquérir : de l’idée que ces parents se font de la difficulté de leur enfant ; de l’ouverture de chacun des deux parents à l’égard de la psychanalyse ; de la manière dont ces parents ont ou vont parler à leur enfant de ce rendez-vous pas ordinaire.

Pour expliquer un tel rendez-vous, les parents trouvent des formules étonnantes, comme ces énoncés souvent entendus : « Nous allons voir quelqu’un pour lui parler de ce qui est difficile entre nous, pour qu’il nous aide à comprendre » ; ou « Nous allons voir quelqu’un à qui tu pourras tout dire ». Ces énoncés se valent. Tout dire… On ne peut pas tout dire, chacun le sait. Lacan l’a même écrit.

Quel rapport entre la plainte de l’école et ce tout-dire proposé par des parents à un enfant ? Ces parents savent que leur enfant n’arrive pas à tout dire, il se tortille, dit « je t’aime, je t’aime », ou « je vous aime » ; ou, quand il fait des sottises et qu’ils le somment de tout leur dire, il n’y arrive pas non plus. Mais qu’il soit aimant ou penaud, ce que craint le plus un enfant, c’est de n’être plus aimé, alors il parle pour être aimé. Mais il est poussé à dire des bêtises, ce qui énerve ses parents, pas le psychanalyste.

La bêtise, ça parle comme un sujet, dans tous les sens, par amour, et un psychanalyste y croit que ça fabrique un sujet, juste parce qu’on ne peut pas tout dire. Lacan écrit dans Encore, qu’il ne demande pas à celui qui vient le voir à quoi il pense : « Le sujet est proprement celui que nous engageons, non pas, comme nous le lui disons pour le charmer, à tout dire – on ne peut pas tout dire – mais à dire des bêtises, tout est là. [1] » Dire des bêtises engage le sujet, et dire des bêtises par amour des parents provoque le désir de l’analyste [2].

Quand des parents consentent à questionner la psychanalyse au sujet de leur enfant, leur enfant tout comme eux est concerné par ce on ne peut pas tout dire.

On connait l’expression de « psychiatre concerné [3] » de Lacan, un peu moins l’usage qu’il tire de cum-cernere emprunté au latin médiéval scolastique, soit un « rapport de concernement » avec le langage qu’il partage avec le fou. Lacan explique que le langage, qui fait le sujet, cerne la chose qui ne peut pas se dire et il arrive, dit-il, que le langage fabrique le désir. De même, un enfant concerné est un enfant qui a un rapport de concernement avec la langue de la famille, c’est par elle que se « met en valeur l’irréductible d’une transmission […] [celle] d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir [4] ».

Un enfant se sent concerné par cet amour de ses parents qui parle de lui, le vise, le divise comme sujet. Il le leur rend bien cet amour quand il « consent » à son tour à parler avec un psychanalyste. On est loin de la psychothérapiequi ne s’intéresse pas au sujet du langage, seulement à la réparation du sujet psychologique.


[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 25.

[2] Cf. Ibid., p. 48.

[3] Cf. Lacan J., « Petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne » (10 novembre 1967), inédit. Disponible sur internet : http://www.psychasoc.com/Textes/Petit-discours-aux-psychiatres-de-Sainte-Anne.

[4] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.

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