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Une attention aux choses de finesse

Patricia Bosquin-Caroz

Les CPCT, dispositifs épistémiques et cliniques, régis par le discours analytique, nous offrent le luxe de nous poser des questions essentiellement psychanalytiques. À l’abri de l’impératif du maître contemporain, qui commande à chacun de circuler à moindres frais pour l’État managérial, les praticiens peuvent porter leur attention aux choses de finesse logées dans la langue de sujets, le plus souvent en déprise sociale et subjective, l’une n’allant pas sans l’autre.

C’est ainsi qu’on a pu constater l’apport de la psychanalyse appliquée à la psychanalyse pure par l’attention portée aux séances prises une à une, à chaque phrase, à chaque mot, le traitement à durée limitée et programmée « rendant le praticien plus attentif à l’acquis de chaque séance [1] ». Dans cette perspective, « le bavardage [peut alors prendre] la tournure de la question, et la question […] la tournure de la réponse [2] », selon la formulation de J.-A. Miller. Le lieu analytique, lieu de réponse, se démarque des lieux d’écoute [3]par la mutation de l’opération transférentielle. Le symptôme se met à parler à condition qu’il s’adresse à quelqu’un qui s’y intéresse en tant que phénomène de langage. Le traitement psychanalytique – ne visant ni l’éradication du symptôme ni la standardisation des conduites humaines au service de la rentabilité – pourra alors tendre vers une visée pragmatique : savoir-y-faire avec le symptôme, avec ce qui cloche, qui rate, se répète, et ceci à moindres frais pour l’économie subjective, afin « d’améliorer la position du sujet [4] ».

Si l’expérience du CPCT a intéressé la psychanalyse pure, celle-ci n’est pas sans avoir frayé une voie à la psychanalyse appliquée à la thérapeutique, en explorant la zone au-delà de l’Œdipe. La norme œdipienne est universalisante, et c’est au regard de la logique du tout que se jauge souvent la question du diagnostic et le pronostic du soin. Quand on dit d’un sujet qu’il est psychotique, c’est que, chez lui, quelque chose fait défaut au regard du système œdipien et son déficit se mesure à la norme phallique du pour tous. Lors d’une des réunions casuistiques préparatoires à la création de la FIPA[5], J.-A. Miller posait la question : « Faut-il, dans les institutions de psychanalyse appliquée, débattre de la question du diagnostic classique ou faut-il considérer la clinique du “tout le monde délire” ? » Il proposa un ajustement : « Dans la perspective du “tout le monde délire”, il s’agit de vérifier si le nouage qui permet que ça tienne est typique, standard ou singulier. Dans cette clinique-là, il n’y a pas d’étiquette, le diagnostic ne se dit pas. On quitte une zone où ça se dit pour une zone où ça ne se dit pas, c’est sous-entendu. » Améliorer la position du sujet consisterait-il alors à prendre une autre perspective sur le symptôme, s’inscrivant dans la logique du pas-tout ?

C’est en quoi, en effet, la psychanalyse pure enseigne la psychanalyse appliquée qui s’occupe de la thérapeutique. Si la jouissance ne se résorbe pas dans le tout phallique, ne se négative pas, mais peut se reconfigurer autrement, si le symptôme ne s’éradique pas, il pourra au mieux se manier de façon plus satisfaisante par le sujet. Au cas comparable à un autre se substitue l’incomparable singularité de chaque parlêtre. « Un cas particulier, ça n’est pas le cas d’une règle, ça n’est pas l’exemplaire de l’universel, ça n’est pas l’exemplification du général, et la pragmatique est précisément la discipline qui tente de trouver la règle à partir du cas particulier […]. Dès lors, le cas particulier, c’est une chose de finesse [6]». C’est dans ce hiatus, dit J.-A. Miller, que se glisse la pratique du contrôle censée colmater la brèche entre structure et contingence.

Pareillement, se jaugent au CPCT les dits du patient, entre logique du tout et du pas-tout. On peut faire entrer le cas dans une catégorie ou bien s’atteler à l’attention de sa langue singulière, voire de son bien-dire, qui pourra, si une rencontre se produit, donner une chance au sujet, désarrimé de son inconscient, de renouer avec le lien social qui est toujours affaire de discours.


[1] Miller J.-A., « Vers PIPOL 4 », Mental, n° 20, Février 2008, p. 189.

[2] Ibid., p. 186.

[3] Ibid., p. 187.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 70.

[5] Réunion casuistique du FIPA (à l’époque Forum des institutions de psychanalyse appliquée) en présence de J.-A. Miller, le 28 mars 2015.

[6]  Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, Choses de finesse en psychanalyse», enseignement du 12 novembre 2008, inédit. Disponible on line : https://www.causefreudienne.net/wp-content/uploads/2014/08/Choses-de-finesse-I.pdf

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